1. À votre avis, quelles sont les conditions d'un dé-confinement sans risques ?
Nul doute, le monde est affecté d'une manière sans précédent. Avec une économie mondialement intégrée, qui a conduit notamment à une accélération de circulation de personnes et une interdépendance des biens et des services, le risque est globale touchant tous les pays sans exception et aucun n'est épargné. De fait, la réponse doit être réfléchie de manière systémique en tenant compte de l’évolution de la situation à l’échelle nationale en rapport avec ce qui se passe à l’échelle internationale.
Ce virus a bousculé toutes les théories opérationnelles de la gestion d’une crise; ce qui peut expliquer la dissemblance et parfois l’incompatibilité dans la stratégie à suivre d’un pays à l’autre. La mise en œuvre d’un modèle conceptuel de gestion de la crise est tributaire du déterminisme, qui est propre à la manière avec laquelle la situation a été gérée dès le départ de la pandémie. Notant bien, lors de cette gestion de crise, nous avons constaté la mise en œuvre de deux approches mais chacune a montré ses limites. D’une part, l’approche anglo-saxonne de type pragmatique et rationnelle, et d’autre part, l’approche européenne de type compréhensive et sociologique.
De fait, la modélisation du processus de dé-confinement est assujettie à l’ensemble des mesures qui ont été prises lors du déclenchement de l’opération. Cette batterie de mesures à laissé place à un ensemble de planification et d’actualisation des procédés rapides et appropriés à une situation difficile au niveau national et à l’échelle des régions.
Il est à noter que le Maroc, et dès le début de cette crise sanitaire, a pu entreprendre des actions avant-gardistes afin de juguler la menace avec une organisation globale de ses ressources et de ses moyens, ce qui a permis d'éviter des répercussions graves sur le nombre de morts ou bien sur la durabilité et la cohésion sociale et économique. C’est pourquoi, l’élaboration d’un plan de continuité opérationnelle de certaines mesures que se soit celles qui ont été prises aux niveaux économiques ou sociales est importante.
Dans la situation actuelle avec un virus que le monde n’arrive pas à éradiquer par un vaccin approprié, parler d’un dé-confinement avec un risque zéro est surréaliste. Ce qui impose l’élaboration d’une stratégie pragmatique et graduelle dont les tâches doivent s’inscrire dans l’espace et dans le temps. Les données enregistrées jusqu’à maintenant avec la cartographie de contamination montrent que la situation est sous contrôle. Néanmoins, dans certaines régions, la courbe des contaminés exige une réponse opérationnelle adéquate afin de l’infléchir.
L’assouplissement des restrictions doit être planifié avec la mise en place des mécanismes et des procédures qui devraient être appelés en cas de réengagement des protocoles en cas de rebondissement. Dans ce sens, un dé-confinement partiel avec un maintien de certaines mesures comme la distanciation sociale et le port du masque dans les lieux de travail, transport public, devront être obligatoires.
Dans certaines régions qui ont enregistré un indice de contagiosité R0 nul, pendant une quinzaine de jours d’observation après la date de dé-confinement, l’assouplissement des restrictions pourra être réévalué vers des nouvelles directives visant à ouvrir la voie à davantage d’allègement des restrictions.
De ce fait, il est indispensable dans chaque région de mettre en place un dispositif d’alerte chapeauté par une cellule de crise transversale. Ce pilotage régional réactif sera responsable d’un contrôle permanent de l’évolution de la situation sanitaire à l’échelle micro et macro de chaque région. Le Maroc, dans sa conception de mettre en place la régionalisation avancée, a mis en place une intelligence territoriale fonctionnelle, ce qui pourra permettre à asseoir une intelligence gestionnelle de la pandémie.
2. Une stratégie nationale s'avère nécessaire pour mener à bien ce chantier de sortie de crise. Quels seraient les piliers fondamentaux de cette stratégie ?
Il va sans dire que la crise actuelle a des conséquences considérables et multiples sur l’ensemble des pays. Les signes avant-coureurs montrent que cette pandémie impactera gravement l’économie mondiale, qui est formée à travers un ensemble des "économies de réseaux" imbriquées. De fait, il est important de souligner qu'en terme d’impact, jusqu’à maintenant le monde est en train de gérer la phase de la cristallisation de la crise. La soudaineté de la pandémie a secoué l’organisation économique et sociale à l’échelle planétaire et de suite tous les pays vont être touchés avec des degrés différents selon leurs dépendances aux systèmes économiques et financiers mondiaux. Après le déclenchement du dé-confinement, chaque pays va se retrouver dans la phase d’impact en identifiant l’ensemble des répercussions que se soit au niveau économique, financière ou social.
Le cœur de cette stratégie, me semble-t-il, doit être centré sur l’estimation de risque en évaluant la potentialité de cette pandémie à causer des dommages à certaines cibles, qui sont prioritaires et qui conditionnent un retour rapide et sûre à la situation normale. Dans cette stratégie, un management de risque doit être capable d’évaluer la gravité des conséquences possibles de la pandémie sur le plan économique, social et international.
Sur le plan social, la levée des restrictions imposée doit être évaluée en observant la phase cinétique et inertielle de la pandémie à l’échelle des régions. La vraisemblance de l’impact de la crise sur le social est indiscutable mais en somme la situation est relativement gérable. Pour parer à ces risques, le Maroc est doté d’un dispositif transversal performant lui permettant d’anticiper les obstacles et une bonne gestion de sortie de crise.
Après, l’un des piliers d’une stratégie post-crise doit se focaliser sur un raccommodage économique avec la mise en place des plans de réponses opérationnelles. Outre les vies humaines, l’économie est une cible menacée par ce danger que représente cette pandémie, la reprise des activités de certains secteurs est importante afin de prémunir l’économie nationale d’une très forte baisse. Dans ce sens, le redémarrage de la production stratégique de notre économie doit être une priorité, vu son impact à l’échelle nationale et son apport dans le solde des transactions courantes. Dans cette perspective, la promotion de la production "made in Morocco" pourrait soutenir la résilience de certains secteurs économiques et ainsi alléger la facture d’importation du pays.
En fin, cette pandémie aura des impacts sur les relations bilatérales et multilatérales. Nous allons assister à une re-modélisation de l’ordre mondial, ce qui exige à la fois une élaboration des stratégies d’influences au service de l’intérêt de notre pays à l’échelle internationale, et aussi la capacité de détection des menaces et des opportunités.
Cette pandémie est de mauvais augure pour l’ordre mondial. Sans aucun doute, il imposera aux pays une reconstitution de leur pensée stratégique en allant chercher des partenaires potentiels dans les parties prenantes du nouveau monde.
En somme, pour notre pays cette crise pourrait constituer une aubaine pour accroître son repositionnement stratégique en Afrique et dans la l’espace euro-méditerranéen.
3. Quels secteurs seraient-ils prioritaires pour assurer le plan de relance post-pandémie ?
Le plan de relance doit répondre aux besoins des intérêts vitaux, critiques et stratégiques de notre pays. Tous les secteurs qui pourraient renforcer l’autonomie stratégique du pays devraient être dans le cœur de la stratégie et le plan de la relance des activités. La consolidation de la chaîne d’approvisionnement nationale impose la réouverture des usines de la production destinée à la consommation et la demande intérieure. Dans une mondialisation en déliquescence, certaines structures économiques pourraient penser à une redirection de leur production dans l’objectif de soutenir la demande et maintenir l’offre en allégeant les importations coûteuses en termes de réserves de change, même si notre pays ait la possibilité de s’appuyer sur le droit de tirage spécial; un actif de réserve international créé par le FMI pour compléter les réserves de change officielles de ses pays membres.
Néanmoins, une démarche inclusive nécessite une politique privilégiant, à court terme, une réduction des investissements et des dépenses publiques. Ce faisant, le gouvernement est appelé à prendre des mesures audacieuses en faveur du secteur productif en terme des solutions de financements et d’accompagnement. Dans ce sens, l’industrie automobile, le textile et l’agroalimentaire sont des exemples des secteurs qui sont porteurs de valeur ajoutés et qui ont des impacts stratégiques et sur la balance commerciale, qui risquerai de se creuser dans telles situations.
Outre le renforcement de la capacité de la résilience de notre économie par des mesures budgétaires et monétaires, une attention particulière doit être accordée aux secteurs les plus touchés comme le tourisme et l’immobilier.
Ce sont des secteurs qui pourraient être, sur le moyen terme, les piliers de la reconstruction de l’appareil de production nationale. La préservation du pouvoir d’achat des ménages est essentielle pour rester dans une possibilité de rattrapage économique rapide une fois le confinement est levé. De fait, des mesures de soutien de la demande sont importantes afin d’accompagner une politique de renforcement de l’offre qui devrait revaloriser au maximum le "made in Morocco".