Avec la fermeture des magasins et ateliers horlogers du pays et l'arrêt brutal de l'économie mondiale, dont dépend 90% de la production horlogère suisse, les exportations des montres suisses ont chuté de plus de 20% au mois de mars par rapport à l'année dernière, selon la Fédération de l'industrie horlogère (FH) qui s'attend à un recul encore plus marqué pour le mois d'avril.
La chute des volumes en mars (-43,1%) est plus représentative - en moyenne - de l’état réel du marché horloger, résume la FH dans un communiqué rendu public la semaine dernière.
Accusant un des reculs les plus forts en valeur, les montres en acier ont lourdement pesé sur le résultat général, de même que les produits en métaux précieux. Les volumes ont été affectés par la baisse des garde-temps en acier, qui ont perdu près d’une pièce sur deux. Les volumes se sont effondrés de près de 700.000 unités en mars, pour un niveau mensuel inédit de 900.000 pièces, fait constater la fédération.
Même si les montres de plus de 3.000 CH (1CH=0,95 euros) ont un peu mieux résisté, tous les segments de prix ont accusé une forte baisse, aussi bien en valeur qu’en nombre de pièces.
En outre, la plupart des marchés ont connu un très net recul en mars, jusqu’à -57,6% pour l’Italie par exemple.
Cependant, et contre toute attente, quelques débouchés importants ont affiché une hausse significative, voire même une accélération de la croissance qu’ils affichaient jusque-là, indique la FH.
La banque Vontobel estime de son côté, qu'en 2020, les exportations du secteur devraient chuter de 25%, soit davantage que lors de la crise du quartz (-15,2% en 1975) et même que lors de la pire année de l’histoire horlogère suisse, en 2009 (-22%).
Par ailleurs, au moins 5000 emplois dans le secteur horloger (sur 60.000 au total) pourraient passer à la trappe d'ici à la fin de l'année en Suisse, selon Olivier Müller, consultant chez LuxConsult, interrogé dans l'émission La Matinale de la télévision publique RTS.
Si des poids-lourds comme Rolex, Patek Philippe ou encore Audemars Piguet disposent de réserves suffisantes pour limiter les dégâts, la menace plane surtout sur les marques d'entrée de gamme, soit celles qui produisent des montres à moins de 1000 francs.
Pour Olivier Müller, jusqu'à 60 marques, sur les quelque 350 que compte aujourd'hui l'horlogerie suisse, pourraient ne pas se relever de cette crise: "le moyen de gamme inférieur et l'entrée de gamme sont particulièrement impactés par l'arrivée des montres connectées sur le marché", notamment de l'Apple Watch en 2015, précise le consultant. "Même si la marque existe depuis longtemps mais qu'elle est déjà fragilisée, elle aura de la peine à dépasser cette crise".
De telles disparitions font craindre des effets en cascade sur toute la chaîne de valeurs, à commencer par les fabricants de composants et les petits ateliers de sous-traitance. L'offre du catalogue "Swiss made" se trouverait aussi appauvrie, alors qu'à ce jour, une trentaine de noms se partagent déjà 90% du marché.
Les petites marques peuvent toutefois encore espérer tirer leur épingle du jeu, en misant sur leur dynamisme et leur capacité d'innovation, estime de son côté Grégory Pons, éditeur du site spécialisé BusinnessMontres.com.
"Depuis le début de l'histoire horlogère, ce sont les petits qui secouent le cocotier, ce sont les petits qui inventent et ensuite les grands suivent", affirme-t-il, estimant en revanche que pour les marques situées dans le moyen de gamme, "cela va être très compliqué".
Interrogé dans La Matinale de RTS, Marco Gabella, cofondateur du site dédié à l'horlogerie watchonista.com, a relevé que l'histoire de l'horlogerie n'est faite que d'une succession de crises.
"C'est une industrie très résiliente, mais cette fois on a un blocage complet total de toute l'activité. Les conséquences à court ou moyen terme vont être importantes. Mais toutes les marques ne sont pas à la même enseigne: certaines vendent quand même sur internet mais d'autres, avec des schémas de distribution traditionnels, ont davantage de peine", souligne-t-il.