Un poisson raciste ? C’était l’affront de plus, l’affront de trop pour cette petite statue en bronze d’à peine 1,25 m de haut pour un poids de 175 kg ayant porté, malgré elle, sur ses frêles épaules autant d’insultes que de slogans qui dépassent de loin sa vocation d’œuvre d’art.
Commandée en 1909, la statue sculptée par Edward Eriksen et érigée en août 1913, raconte d’abord un conte de fées écrit en 1887, mais aussi le récit d’un dessin animé de Walt Disney.
A Copenhague, elle tire son attraction d'une représentation du personnage du conte éponyme du célèbre romancier danois Hans Christian Andersen (1805/1875), qui raconte l'histoire d’une sirène malheureuse rêvant de pouvoir marcher sur la terre ferme pour rejoindre son amoureux, sacrifiant ainsi sa vie dans la mer.
"J'ai du mal à voir ce qui est particulièrement raciste dans le conte de fées de La petite sirène", s’indigne à demi-mots Ane Grum-Schwensen, chercheuse à l'Université du sud du Danemark.
Contexte oblige, les manifestants du mouvement Black Lives Matter à travers le monde se sont pris à des statues de personnages historiques qui ont joué un rôle dans l'oppression raciste, comme les marchands d'esclaves et les colonialistes.
Visiblement rattrapé par son histoire, le Danemark n’a pas échappé à la mouvance. Fin juin, une statue d’un missionnaire dano-norvégien du 17ème siècle a été vandalisée à Copenhague.
Plus tôt, dans la nuit du 20 au 21 juin, à quelques heures de la fête nationale du Groenland (territoire autonome, mais constitutif du royaume de Danemark), le socle de la statue du même évangéliste a été maculée de peinture rouge : "Deconolize".
S’il est vrai que «La Petite Sirène» n'a pas fait partie de ce débat, il importe de signaler que, l'année dernière, un remake d’un film d'animation de 1989 du même nom a fait l'objet d'une controverse après que l'actrice afro-américaine Halle Bailey ait été choisie pour y camper le rôle central.
Il y a deux jours, le journal Ekstra Baldet a tendu sa rubrique «mégaphone» à une blogueuse où, se faisant photographier torse nu à l’instar de la statue, elle se fonde d’un cinglant réquisitoire contre les interdits qui, selon elle, étrangle de plus en plus la société danoise.
Mais quel rapport avec le graffiti de "Racist Fish" ? Visiblement, comme avec bien des antécédents, le mystère reste entier et s’épaissit davantage, tel un storytelling en perpétuel recommencement, tout à l’honneur de la Petite Sirène.
"Nous considérons cela comme du vandalisme et nous avons ouvert une enquête", a déclaré un porte-parole de la police de Copenhague, au lendemain de la découverte des deux termes, accolés à cette sculpture perchée sur un rocher dans la mer au large d'une jetée à Copenhague. Une enquête de plus, mais sans jamais en élucider les tenants et aboutissants.
Car, ce n’est pas le pire qui soit advenu à cette créature. Plusieurs fois vandalisée et à chaque fois restaurée, elle a vu sa tête sciée en avril 1964, pour en retrouver une autre plus tard, puis son bras droit enlevé et rendu deux jours après (juillet 1984).
En 1990, on échoua à lui enlever la tête encore une fois, tout en laissant une coupure de 18 cm dans le cou. En janvier 1998, elle fut décapitée pour la seconde fois : les coupables ne furent jamais identifiés, mais la tête fut rendue anonymement, et remise en place en février.
On la poussa à la mer à plusieurs reprises, on l’aurait "probablement" dynamitée, le 11 septembre 2003, pour l'arracher à son socle, on l’a barbouillé plusieurs fois de différentes couleurs. Elle a également été vêtue d'une burka, ainsi que de maillots de football suédois et norvégiens.
En mai 2017, elle a été peinte en rouge par des militants des droits des animaux indignés par la chasse à la baleine. Le mois suivant, elle a reçu un maquillage en blanc et bleu. Début 2020, on l’a affublée du slogan "Free Hong Kong".
Entretemps, qu’il vente ou qu’il neige, La Petite Sirène qui, à elle seule, draine un million de touristes, continuera de raconter l’histoire d’une sirène malheureuse rêvant de pouvoir marcher un jour sur la terre ferme.