Connu sous le nom de la "Building Bridges Initiative (BBI)" (Construire les ponts), le projet du plan de réformes est présenté comme une initiative qui vise à mettre fin aux divisions politiques et aux violences qui entachent chaque processus électoral dans le pays. Le projet comprend entre autres la réintroduction d'une primature, la création de 2 vice-présidences et l’ajout de 47 nouveaux sièges au Sénat réservés aux femmes.
Mercredi 21 octobre, le président kényan, Uhuru Kenyatta a annoncé dans un discours télévisé, la tenue d’un référendum qui permettra au peuple de voter pour ou contre les changements proposés, avant l’élection présidentielle de 2022.
Les autorités espèrent que ces nouveaux postes serviront à rendre le gouvernement plus inclusif et remplaceront un système électoral où le vainqueur monopolise tous les pouvoirs, alimentant ainsi les tensions ethniques.
De plus, les nouvelles réformes proposent la création de 47 nouveaux postes au Sénat, soit le double de ce qu’il compte actuellement. Ils seront destinés uniquement à des femmes, représentant chacune l'un des 47 comtés que compte le pays afin de créer une parité au sein du Parlement.
Les observateurs estiment que si les objectifs de ces réformes sont louables, leur mise en place devrait toutefois représenter un coût énorme pour l’Etat kényan. En pleine pandémie de coronavirus, et alors que le pays essaye de mieux gérer le niveau de sa dette, la capacité des autorités à respecter un budget de fonctionnement de l’administration encore plus important devrait fortement peser dans la balance lors du prochain vote.
Notons que les nouvelles modifications porteront également sur la nomination du finaliste de l'élection présidentielle comme chef de l'opposition au Parlement ainsi que l’augmentation de 15 à 35% de la part des gouvernements régionaux dans les revenus distribués par l’Etat.
La Building Bridges Initiative (BBI) propose que le président nomme un Premier ministre parmi les députés qui forment la majorité ou forment la principale coalition des partis à l'assemblée.
Certains ont fait valoir qu’il était possible que le parti du président n’ait pas la majorité à la Chambre, comme ce fut le cas en 2007 lorsque le président Kibaki a été réélu, mais son parti de l’unité nationale comptait moins de députés que l’opposition de M. Raila Odinga, le Mouvement Démocratique Orange (ODM), qui avait la majorité.
M. Odinga avait été nommé alors Premier ministre dans le cadre d'un accord de partage du pouvoir visant à mettre fin à la violence post-électorale, et les deux dirigeants étaient en conflit constant, une situation que les analystes estiment qu'elle n'était gérable que parce que le poste du Premier ministre n'était pas aussi puissant que celui sous la BBI.
"Nous vivons un moment particulier de notre histoire, où nous pouvons nous rassembler, examiner tous ces problèmes qui nous empêchent d’avancer et les rectifier ensemble. Ne manquons pas cette opportunité. Ce n’est pas un document contre un individu ou une communauté. C’est un rapport pour la postérité", a souligné le président kényan en recevant le rapport sur la BBI, élaboré pendant des mois par des experts, des analystes, des juristes et des religieux du pays.
"Nous avons réussi à saisir l’origine des problèmes kényans. Ce n’est pas un exercice inutile. Car comment voulez-vous régler ces questions si nous ne savons pas quel est le problème. Nous voulions que les Kényans parlent et ils ont parlé. Avec ce rapport, nous voulons créer une société meilleure pour les générations futures", a affirmé, pour sa part, le chef du principal parti d'opposition, Raila Odinga, qui a participé à la rédaction du rapport.
Le rapport augure certes d'un avenir meilleur pour les Kényans mais sur le terrain, la tension monte d'un cran avec le "divorce" prononcé entre le Président kényan et son adjoint William Ruto.
En effet, le mariage de raison - et de pouvoir - entre Ruto et Kenyatta pour les scrutins de 2013 et de 2017 a commencé à se désagréger dès 2018. Ces dernières semaines, cette douloureuse rupture s'étale en feuilleton quotidien dans les journaux.
"Uhuru Kenyatta et William Ruto sont à couteaux tirés et bien qu'ils ne se disputent pas directement en public, leurs mots et leurs actes témoignent d'un gouffre entre les anciens compères qui étaient arrivés en 2013 au pouvoir avec jubilation, faste et glamour", écrit le Daily Nation.
Le "Waterloo" de cette relation, selon le mot du premier quotidien du pays, fut l'alliance scellée à la surprise générale entre Uhuru Kenyatta et le leader historique de l'opposition Raila Odinga, qui contestait l'élection de 2017 et menaçait de bloquer le pays.
Ce pacte de mars 2018, popularisé comme le "handshake" ("la poignée de main"), a immédiatement fait retomber la tension mais il a aussi déséquilibré le sommet du pouvoir. Avec l'arrivée de Raila Odinga, c'est un ménage à trois aux intérêts divergents qui s'installait à la tête de l'Etat.
William Ruto s'était vu promettre par Uhuru Kenyatta d'être en 2022 le candidat du parti présidentiel Jubilee, qui avait scellé la réconciliation entre leurs deux ethnies - les Kalenjin et les Kikuyu - après les violences de 2007-2008, consécutives à la présidentielle au cours de laquelle M. Ruto était allié à Raila Odinga.
Mais l'ambitieux vice-président, 53 ans, a vu Raila Odinga, 75 ans, s'imposer en successeur d'Uhuru Kenyatta qui exerce actuellement le dernier mandat que lui permet la Constitution.
Nic Cheeseman, professeur à l'université de Birmingham, y voit la conséquence d'une "pression croissante de parents et d'alliés de Kenyatta pour dire que le pouvoir ne peut pas être transféré à Ruto, reflétant les inquiétudes de nombreux électeurs kikuyu".
"Ruto a la réputation de quelqu'un prêt à utiliser la violence, et parmi la communauté Kikuyu et au-delà, les gens sont inquiets de ce qu'il ferait s'il avait le pouvoir absolu. Il est le dirigeant politique le plus craint du Kenya", estime-t-il.
Visible et influent lors du premier mandat, William Ruto n'apparaît quasiment plus en public au nom du gouvernement, contrairement à Raila Odinga.