Face à cette répression, les opposants optent pour l’exode et “fuient à grande échelle une Algérie à l’atmosphère devenue ''irrespirable'', note le journal, ajoutant que l’Algérie est un pays “en pleine dérive autoritaire où l’arrestation guette à tout instant ceux qui se sont trop affichés durant le Hirak, en particulier ceux qui ont poursuivi le combat après l’essoufflement de la mobilisation populaire amorcé au printemps 2020, restrictions anti-Covid obligent.
Ils sont des milliers à s’être ainsi exilés en France et ailleurs en Europe, ou encore au Canada, note la publication, qui évoque le cas de l’opposante Amira Bouraoui, qui était devant une équation simple : la prison ou l’exil.
“Certains ont transité par la Tunisie, une étape sensible et périlleuse depuis qu’Alger a renforcé son influence sur le régime de Kaïs Saïed. Mme Bouraoui n’a dû son salut qu’à la détention d’un passeport français”, observe le journal, précisant que d’autres n’ont pas eu cette chance tel “Slimane Bouhafs, sympathisant du Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie (MAK) et converti au christianisme, qui a été enlevé en août 2021 au cœur de Tunis par des inconnus qui l’ont rapatrié de force en Algérie”.
Et de poursuivre qu’un “tel exode pourrait arranger le pouvoir algérien en le débarrassant de foyers d’activistes. Or, tout à l’inverse, Alger tente d’endiguer cette vague de départs de peur que ces opposants, une fois à l’étranger, diffusent largement les informations sur la répression interne”, d’où les centaines d’''interdictions de sortie du territoire national'' (ISTN) prononcées par les tribunaux à l’encontre des sympathisants du Hirak.
Comment pourrait-il en être autrement alors que près de trois cents prisonniers d’opinion sont désormais sous les verrous ? s’interroge le média français, pointant du doigt les dissolutions qui ne cessent de frapper des structures emblématiques de la société civile.
Parallèlement, enchaîne-t-on, le champ médiatique n’a cessé de s’appauvrir, la mise sous scellés fin décembre 2022 d’Interface Médias (regroupant Radio M et le magazine Maghreb Emergent) et l’arrestation de son journaliste fondateur Ihsane El-Kadi a fait figure de “point d’orgue d’une reprise en main allant crescendo depuis trois ans”.
La presse algérienne n’est plus que l’ombre d’elle-même, souligne le quotidien français.
“Il faut se résoudre à l’évidence : l’Algérie a basculé dans une nouvelle ère. Cette +Algérie nouvelle+ dont le président Abdelmadjid Tebboune – élu en décembre 2019 – a fait son slogan consacre en fait un grand saut en arrière politique”, poursuit-on.
Avec le Hirak, qui a marqué un “séisme” et “un ébranlement” de la société algérienne sans précédent, tous les espoirs semblaient permis. D’où la “douleur du désenchantement” quand le régime, miraculeusement aidé par le Covid-19 au printemps 2020, a progressivement repris l’avantage, resserrant écrou par écrou l’étau sécuritaire autour d’un mouvement devenu impuissant, relève-t-on.
Dans son rétablissement, ajoute Le Monde, le régime a bénéficié d’une double aubaine : la crise du Covid-19, qui a justifié fort opportunément l’interdiction des rassemblements protestataires au nom de la sécurité sanitaire, et la guerre en Ukraine, providentielle pour l’Algérie gazière et pétrolière, qui allait doper les prix des hydrocarbures, offrant au pouvoir algérien une bouffée d’oxygène permettant d’acheter la paix sociale, “tout en imposant l’Algérie comme une alternative au gaz russe, à ce titre courtisée par des Occidentaux subitement moins concernés par les droits de l’homme”.
Et d’expliquer que cette double conjoncture internationale n’aurait pas suffi à elle seule à sauver le régime. Elle n’a fait que consolider une reprise en main intérieure déjà engagée et dont les acquis étaient déjà tangibles. Entamée dans la foulée de l’éviction de Bouteflika, moment-clé où l’armée s’est inquiétée de la mue de la mobilisation anti-Bouteflika en un mouvement antisystème, cette restauration s’est approfondie au lendemain de l’élection de M. Tebboune, fin 2019. Elle a obéi à un modus operandi très précis, digne d’un manuel de recettes à l’usage des pouvoirs autoritaires en danger.
Réminiscence de la décennie noire, l’accusation infamante de +terrorisme+ effraie, y compris les familles de détenus qui refusent parfois de communiquer sur le sort de leur parent poursuivi, observe-t-on, faisant valoir que la “machine est implacable”.
Dans l’Algérie en pleine escalade sécuritaire, l’humour grinçant face aux méandres d’une répression devenue kafkaïenne n’est plus qu’une consolation, conclut le journal.