Tabassé sans pitié par des policiers en colère, le jeune immigré éthiopien a rendu l’âme avant l’arrivée des secours, laissant derrière lui de grandes interrogations sur les méthodes brutales utilisées par la police sud-africaine en ces temps de grave crise.
Depuis le début, la semaine dernière, de la période de confinement de 21 jours, huit personnes ont été tuées par la police dont deux en garde à vue.
La première victime de cette violence policière n’est autre que la confiance fragile entre citoyens et services de sécurité que l’Afrique du Sud a tenté de tisser depuis la fin de l’ère raciste en 1994 avec ses blessures toujours visibles dans la société plus d’un quart de siècle après.
Depuis le début du lockdown, des milliers de policiers, de soldats et d’agents de sécurité privés sillonnent les rues à travers le pays. Ceux qui refusent de se plier aux règles du confinement sont réprimés souvent violemment en violation des instructions du président Cyril Ramaphosa, qui avait appelé à un traitement respectueux des populations.
De nombreuses vidéos diffusées à grande échelle sur les sites sociaux et les sites d’information montrent des soldats, des policiers et des agents de sécurité bousculant, giflant, humiliant et même tirant sur de prétendus infracteurs.
Les Sud-Africains ont l’impression de vivre dans un Etat « pseudo-policier », indique Guy Lamb, directeur de l’initiative sur la sécurité et la violence à l’université du Cap.
Les actes de violence policière en hausse en ces temps sombres du Coronavirus ont fait augmenter la peur des Sud-Africains de leurs services de sécurité au plus haut niveau depuis 1994, estiment certaines analyses, notant que les méthodes brutales ont remis en question les principes démocratiques et de droit de l’Homme sur lesquels l’Afrique du Sud postapartheid a été fondée.
Une partie de la réponse est liée à une culture de punition profondément ancrée parmi l’élite sud-africaine en termes de gouvernance des Sud-Africains ordinaires, en particulier les pauvres, explique le professeur Lamb, relevant qu’à cette culture s’ajoute la militarisation des appareils de contrôle, notamment les services de police.
Pour les gouvernements dans les sociétés souffrant de taux élevés d’inégalité, comme l’Afrique du Sud, la punition devient une stratégie commune pour maintenir le contrôle politique et social, indique le chercheur, soulignant que cette culture s’est ancrée en Afrique du Sud depuis l’ère raciste.
L’actuelle pandémie du Coronavirus n’a fait que repousser cette stratégie au-devant, souligne-t-il, faisant observer que les taux de criminalité élevés que le pays enregistre même en temps normal rend le recours à ces stratégies justifié dans l’actuelle conjoncture exceptionnelle.
En effet, des voix se sont élevées en Afrique du Sud, appelant au retour de la peine capitale dans le pays durant cette période.
Ces appels sont justifiés, de l’avis des défenseurs des interventions musclées des services de police, par l’état d’anarchie totale qui a régné dans plusieurs townships du pays où les populations pauvres et marginalisées ont refusé de se plier aux règles de confinement.
Dans certains bidonvilles, où la présence sécuritaire n’est pas la bienvenue, la mise en œuvre de ces règles a été pratiquement impossible même avec les interventions les plus brutales de l’armée.
La hausse de la violence policière a poussé l’ONG « Fair and Equitable Society » (société juste et équitable) à soumettre une plainte à la haute cour de Pretoria, estimant que les membres de la police et des forces de défense ont agi d’une manière inconstitutionnelle dans l’application des règlements de confinement.
Dans des documents soumis à la cour en réponse à la plainte, le président Ramaphosa a défendu le comportement des forces de l’ordre.
Il a souligné qu’il ne dispose « d’aucune information » faisant état de comportement inconstitutionnel de ces services.