Dans un entretien à la MAP, Mahi Binebine livre ses impressions sur cette nouvelle distinction qui vient s’ajouter à d’autres dans son palmarès déjà bien garni, parle de son roman primé, dévoile un pan de sa vie personnelle et professionnelle durant le confinement, évoque ses projets futurs particulièrement un nouveau roman qu’il vient de terminer et analyse la situation de l'art et des artistes au Maroc.
Vous venez d’être désigné lauréat du Prix Méditerranée de littérature 2020. Qu’est ce que cela représente pour vous?
C’est un bonheur, bien sûr. Vous savez, les livres maintenant ont une durée de vie de trois mois dans les librairies et sans une reconnaissance de la société des Lettres, ils n’ont aucune chance de survivre. Donc, ce genre de prix permet la pérennité de l’œuvre. Ce qui fait toujours plaisir aux écrivains.
Roman vif, sensuel, chaleureux et pétri d’humanité, « Rue du pardon », paru l’an dernier aux éditions Stock, est une ode au féminisme des Marocaines à travers le portrait de Hayat, enfant mal-aimée d’un quartier pauvre de Marrakech, qui découvre les chemins de la liberté par la danse et le chant des "chikhates", ces femmes souvent victimes de préjugés.
« Rue du pardon" raconte l’histoire de Hayat, une artiste que je connais bien. C’est une amie qui vient souvent chez nous à Tahannaout dans la résidence d’artistes, par ce que nous ne la voyons pas comme une personne légère, nous la voyons comme une artiste au même titre qu’un photographe, un musicien ou un écrivain. Les chikhates, ce sont des femmes qui n’ont pas la reconnaissance qu’elles devraient avoir. J’avais envie de rendre leur dignité à ces femmes qui sont finalement des féministes avant l’heure. Ces femmes sont de toutes les fêtes (baptêmes, circoncision, mariages…), qu’on regarde toujours comme des dévergondées alors que ce sont des artistes comme nous.
C’est un livre que j’ai fait avec beaucoup d’amour et je suis très content qu’il ait eu cette reconnaissance internationale. On est déjà à sa traduction, et le livre va avoir une autre vie avec ce prix.
Une adaptation du roman au cinéma ?
Peut-être, pourquoi pas. Je pense que le roman est très cinématographique et qu’il faudrait absolument qu’il soit adapté au cinéma. Mais ce n’est pas d’actualité. Maintenant, on parle plus du « Fou du Roi » comme un prochain film que de « Rue du pardon », mais cela viendra, car c’est assez visuel comme livre.
Comment vivez-vous le confinement ?
Vous savez, les écrivains sont confinés à vie. Ils vivent en ermites, si j’ose dire. Ils sont toujours enfermés car tout se passe à l’intérieur d’eux même. Le confinement ne change pas grand-chose pour les écrivains. J’ai beaucoup travaillé ces trois derniers mois et puis on a fait beaucoup de campagnes pour aider ceux qui n’ont rien, pour distribuer des paniers. On en a distribués quelque 5000 paniers. On a été assez occupés à travailler et à essayer de soutenir les plus démunis en ces temps de coronavirus.
De plus je viens de terminer mon nouveau roman que je vais remettre dans une quinzaine de jours. Cela m’arrive très rarement d’être en avance. En général, je suis toujours en retard. L’éditeur râle toujours. Et là, pour la première fois, je suis à jour avec mon éditeur et donc le nouveau roman va sortir dans quelques mois. Il est fini et je suis vraiment très très content.
Le nouveau roman parle de deux personnages qui cohabitent dans un même corps et qui ne sont d’accord sur rien. C’est un peu toute l’histoire de ma vie qui est là.
Quel constat en tirez-vous?
Vous savez, je suis quelqu’un de très bien organisé. (…) Je peins tous les jours, j’écris tous les jours, je fais de la sculpture… Donc, j’ai une vie assez chargée, en dehors du fait que je passe la moitié du temps de ma vie en voyage. Donc ce confinement a été pour mois une bénédiction du ciel. Je viens de finir mon nouveau roman, j’ai bien travaillé. Je suis content d’avoir été enfermé pendant trois mois. J’ai réglé tout ce qui n’avait pas été réglé depuis longtemps.
Ce confinement a été propice aussi pour les retrouvailles familiales, car cela fait plusieurs années que je n’ai pas eu mes trois filles avec moi en même temps. On a pu enfin se rencontrer, se retrouver. Il y a une qui habite à Los Angeles, une autre à Milan et la toute dernière se prépare à partir cette année. Donc, j’ai été très heureux de retrouver mes enfants, de profiter de leur présence, de se parler … La vie de famille a été précieuse pour moi durant ce confinement.
Comment voyez-vous la situation culturelle au Maroc avant et après le coronavirus?
Au Maroc, ça bouge quand même. Il y a de plus en plus de galeries. Il y a une effervescence. Moi, je peux parler de la peinture par ce que je connais ce monde. Il y a un véritable vivier d’artistes exceptionnel dans le pays qui a d’ailleurs beaucoup souffert à cause du covid-19. Les galeries étaient fermées. Mais bon, il va falloir se reprendre. Là on touche à la fin et donc il faudrait retrousser les manches et repartir au front !!
Croyez-vous en la diplomatie culturelle ?
Evidemment j’y crois, car le rayonnement ne viendra pas forcément du politique. Le rayonnement viendra incontestablement de l’artiste. Car qu’est-ce qui reste après ?, Qu’est-ce qui reste dans une société ?, qu’est-ce qui supporte le temps ? C’est ce qu’on regarde, c’est un monument, c’est une œuvre… C’est la richesse d’un pays et il faudrait qu’on s’occupe davantage des artistes par ce que ce sont les poumons de la société et il faudrait les soigner.