Nul ne peut nier que ce mode de travail a permis à plusieurs entreprises de poursuivre leurs activités tout au long de cette période de confinement, mais à moyen et long termes, cela suscite tout un tas de questions particulièrement sur le volet juridique et contractuel entre employeur et collaborateur, ainsi que sur la capacité des entreprises à investir, durant cette crise, dans les infrastructures digitales à même d'assurer les meilleures conditions de travail.
"Il est trop tôt pour mesurer l'impact global sur la consommation d'espace. Nous pourrons mesurer l'impact sur le taux d'occupation des bureaux et la demande dans 6 mois. Mais a priori la variation devrait être mineure à cause des effets de compensation", a relevé Karim Tazi, directeur général délégué - pôle conseil et transaction au groupe A. Lazrak et member of the Royal Institution of Chartered Surveyors (MRICS).
Lors de la crise sanitaire, plusieurs multinationales ont souhaité renégocier leurs baux sans changer de surface, alors que d'autres ont étudié la possibilité de fermer des pays entiers et regrouper leurs Top management sur des hubs régionaux tout en gardant un bureau de représentation dans les autres pays, a-t-il soutenu, faisant remarquer qu'une concurrence entre le Maroc, Dubaï, et l'Egypte est en train de se dessiner.
En outre, certaines multinationales entrantes sur le marché ont revu leurs besoins d'espace à la hausse pour répondre aux normes de distanciation imposées par leur maison mère, a noté M. Tazi, précisant que les demandes de surfaces ont été multipliées par deux ou trois.
Et de poursuivre: "Pour les acteurs marocains, nous n'avons pas encore identifié de comportements hormis des demandes pour de locaux temporaires afin de réaménager aux normes sanitaires ceux existants".
Ces comportements devraient se traduire par une éventuelle réduction des densités des bureaux (nombre de personnes/ m²) de 20 à 30 %, a prévu M. Tazi. "Aujourd’hui, la densité moyenne pour une entreprise est de 6 à 8 m² par collaborateur et de 3 à 4 m² pour les centres d’appels. A priori, les collaborateurs auront plus de m² à l'avenir".
Généralement, les entreprises devront s'atteler sur les 6 prochains mois à un exercice délicat autour du "coût immobilier global par collaborateur", lequel devra faire la synthèse entre les contraintes liées aux nouvelles normes sanitaires et celles budgétaires tout en assurant la meilleure productivité et sociabilité aux collaborateurs et à l'ensemble des parties prenantes de l'entreprise (clients, fournisseurs, partenaires, etc), a-t-il résumé.
Concernant le prix de loyer de bureaux, il oscille entre 100 et 250 DH/m² selon l'emplacement, la surface et les niveaux d’aménagement, a fait savoir M. Tazi, soulignant que ce prix a connu une certaine stabilité voire une légère baisse.
"Les loyers ont déjà connu une correction il y a trois ans. Nous sommes à des niveaux de loyers raisonnables pour des immeubles aux meilleurs standards internationaux. Des incitations de type franchises de loyer ou contribution aux réaménagements des espaces selon les nouvelles normes seront demandées aux propriétaires", a-t-il noté.
Même son de cloche pour Adnane Bajeddi, expert immobilier et MRICS, qui a estimé qu'il est encore tôt de tirer des conclusions de l'impact du télétravail sur la location de bureaux.
"Avec la contre-performance de l’économie marocaine induite par cette pandémie, nous avons constaté une baisse significative de la demande pour la location de nouveaux espaces bureaux", a-t-il soutenu, expliquant ce fait notamment par l'arrêt d'activité de plusieurs entreprise et l’attentisme chez les opérateurs économiques preneurs qui ont mis en veille leurs projets de prise à bail, en espérant d'avoir plus de visibilité sur l'évolution future du marché.
Il s'agit également de la volonté de certaines entreprises d'optimiser leur empreinte immobilière afin d’alléger leur trésorerie, a ajouté l'expert, relevant que le télétravail se positionne ainsi comme étant une alternative plausible permettant d'atteindre cet objectif.
Toutefois, M. Bajeddi met l'accent sur l'importance de tenir en compte le fait que l'adoption du télétravail, comme mode de collaboration principal, est subordonnée à des prérequis essentiels. "Outre, l'aspect juridique et contractuel qui est à réfléchir et à convenir avec les collaborateurs, il existe une nécessité de déployer une infrastructure digitale compréhensive en termes de communication, de dématérialisation des procédures et de gestion électronique des documents. Cette démarche requiert, de facto, des investissements conséquents qui ne sont pas à la portée d’une grande partie des entreprises, surtout en ce moment de crise".
Et de renchérir: "Je pense que le télétravail demeure une tendance momentanée qui ne va guère impacter d'une manière significative la location des espaces bureaux dans le futur".
Un constat qui n'est pas partagé par Kevin Gormand, directeur général de Mubawab, qui a souligné qu'à moyen et plus long termes, l'impact du télétravail risque d'être beaucoup plus important et de changer la donne sur le marché de la location de bureaux.
"En effet, les entreprises ont compris, avec cette crise sanitaire, que leurs équipes pouvaient très bien travailler depuis chez elles, et vont, pour des questions d'efficience, de santé ou de bien-être au travail, continuer à favoriser le télétravail pour ceux qui le souhaitent et qui le peuvent", a-t-il expliqué.
Tout le monde est gagnant, et des grandes sociétés comme Facebook ou Google, qui ont investi des sommes colossales dans la création de "campus" de travail jusqu'à présent, pensent désormais à passer 100% de leurs effectifs en télétravail, a fait observer le co-fondateur de Mubawab.
Ainsi, a-t-il poursuivi, les surfaces des bureaux recherchées pour la location risquent de se réduire afin de mieux correspondre à cette nouvelle réalité bureaux central / télétravail.
Pour ce qui est des prix, M. Gormand a indiqué qu'ils sont toujours l'adéquation entre l'offre et la demande. "Sur les grandes surfaces, nous devrions assister à une réduction des prix étant donné que la demande risque de se faire plus faible, tandis que pour les petites et moyennes surfaces, cela pourrait bien être le contraire. Si une partie importante de la demande va s'orienter vers de plus petites surfaces, alors les prix ne pourront pas baisser mathématiquement, mais plutôt augmenter".