Depuis quelques semaines, les querelles frontalières dans la région du Ladakh (nord de l’Inde) entre les deux armées font régulièrement la Une des journaux des deux puissances nucléaires.
Cependant, ce lundi 15 juin, qui a connu la mort de 20 soldats indiens suite à une altercation à coup de matraques cloutées et jets de pierre contre des membres de l’Armée populaire de Libération (APL) de Chine, marquera à coup sûr un tournant que nul ne pourrait envisager les conséquences dans un contexte politique et économique déjà tendu entre les deux titans.
En fait, les deux géants de l'Asie mènent depuis des décennies une rude concurrence pour s’accaparer le contrôle de la connectivité routière et aérienne dans les tronçons contestés à haute altitude le long des 3.488 km de la Ligne de contrôle effectif (LAC) du Ladakh (ouest) à l'Arunachal Pradesh (est), riche en eau et en minerais.
Début mai, des affrontements à coup de poings et de bâtons entre les troupes rivales se sont déclenchés après que des soldats chinois aient pénétré environ 1 à 3 km dans ce que l'Inde considère comme son territoire dans la région himalayenne de Galwan et Demchok dans l'est du Ladakh.
Selon plusieurs observateurs indiens, les derniers empiétements bien planifiés semblent stratégiquement axés sur la modification de la frontière en s'emparant de positions avantageuses dont le contrôle placera le rival du nord dans une position de commandement.
En réponse, l’Inde avait déployé des renforts militaires dans la région, affirmant que New Delhi ne permettrait aucune tentative unilatérale de la Chine de modifier le statu quo le long de la Ligne du contrôle effectif.
Il sied également de noter que l'un des déclencheurs des affrontements dans l'est du Ladakh est également l'achèvement par l'Inde de la route Darbuk-Shyok-Daulat Beg Oldie (DSDBO) de 255 km et sa nouvelle décision de construire des routes et des ponts de connexion supplémentaires dans la région.
Le scepticisme de l'Inde à l'égard de la Chine remonte à la fin des années 1950 et en particulier à la guerre-éclair de 1962 qui avait vu les soldats indiens rapidement défaits par les troupes chinoises, mais les deux pays n'ont eu aucun conflit armé depuis.
Les deux titans continuent toujours de s’observer en chiens de faïence malgré le rétablissement des relations diplomatiques à la fin des années 1970, la reprise des visites bilatérales inaugurées par le déplacement historique à Pékin du Premier ministre indien, Rajiv Gandhi, en 1988 et la signature en 2005 du Partenariat stratégique pour la paix et la prospérité.
En quête d’un leadership économique en Asie
A couteaux tirés, les deux géants mènent une concurrence acharnée pour assurer la mainmise sur l’économie de l’Asie. Le dernier conflit en date remonte à la réunion du Projet du Partenariat économique intégral régional (BRICS), tenu en novembre 2019.
Le BRICS qui devait réunir les dix nations membres de l'Association des nations de l'Asie du sud-est (ASEAN), ainsi que d'autres géants économiques dont le Japon, la Corée du Sud, la Nouvelle-Zélande, l'Australie et la Chine, n’a pas suscité l’engouement de l’Inde.
En fait, un BRICS avec l’Inde comme membre, formerait le plus important espace de libre-échange de la planète, avec près de la moitié de la population et 30% du PIB mondial.
New Delhi, qui s'inquiète de voir ses marchés intérieurs envahis par des produits chinois qui mettraient en péril sa production nationale et son projet d’avenir "Make in India" a finalement rejeté l’accord, notant que cette décision rentre dans le cadre de la protection de "l'intérêt national", selon le ministère indien des Affaires étrangères.
Le poids de l’économie chinoise, la deuxième économie du monde, avec un PIB nominal de plus de 14.000 milliards de dollars, qui fait cinq fois celui de l’Inde (2.750 milliards USD), constitue pour l’Inde une source d’inquiétude et de motivation en ce sens que le Premier ministre indien, Narendra Modi a mis les bouchées doubles afin de porter le PIB indien d'environ 2.700 à 5.000 milliards USD d’ici 2025.
Un recours grandissant aux coalitions régionales de part et d’autre
Bien que les deux rivaux abritent le tiers de la population mondiale, ils ne cessent constamment de former des coalitions antagonistes et des pôles aux intérêts opposés.
Une rivalité qui donna naissance à des coalitions régionales aux objectifs qui dépassent souvent la coopération réciproque et les gains mutuels pour menacer les positions du camp adverse.
Proche du Pakistan, grand rival de l’Inde, du Népal, de la Birmanie et du Sri Lanka, la Chine courtise également des partenaires avec lesquels l’Inde entretient historiquement de bonnes relations, à l’image des Maldives et du Bangladesh.
New Delhi, pour sa part, cherche à tirer profit de l’angoisse affichée par certains pays face à l'ascension économique fulgurante de la Chine comme le Vietnam, le Singapour et surtout le Japon avec lequel l'Inde a lancé un important accord de partenariat stratégique en 2006.
Les deux pays, qui ont facilement trouvé un terrain d’entente car ils partagent une crainte commune: la Chine, s’inquiètent non seulement des ambitions territoriales de Pékin en mer de Chine, dans l’Océan indien ou dans l’Himalaya, mais aussi du projet "Une Ceinture, Une Route" lancé par le président chinois Xi Jinping, qui aura pour conséquence de renforcer l’influence chinoise dans des zones stratégiquement importantes pour les deux pays.
De même, l’Inde se rapproche de plus en plus des Etats-Unis, et Pékin ne peut que voir d’un mauvais œil ce partenariat qui vient s’ajouter à l’axe nippo-américain et conforter encore le rôle du pays de l’Oncle Sam dans la région.