1- A l'ère de la Covid-19, le cinéma marocain, à l'instar d’autres activités, a été lourdement impacté. Quelle est votre analyse de la situation et du rôle joué par le CCM durant cette crise ?
Le cinéma et le monde cinématographique ont été lourdement impactés (des tournages interrompus, des salles de cinéma fermées..), mais il ne faudrait pas oublier qu’avant l’économie, il y a l'homme et l'être humain.
Le Centre cinématographique marocain a pris l’initiative de donner accès à certains films marocains gratuitement et c’est une bonne chose qui devrait faire partie de sa mission, alors que nous assistons de plus en plus à une disparition quasi-totale des salles de cinéma.
Les films produits par le CCM sont destinés au citoyen qui a le droit de voir ces films sous n’importe quel format ou sur n’importe quelle plateforme.
L'idée de donner accès à ces films est de leur permettre d’être vus par un public plus large, pour que ceux qui n’ont pas la chance d’avoir une salle de cinéma ouverte près de chez eux puissent apprécier ce que les créateurs dans le domaine du cinéma au Maroc créent et ce qu’ils offrent.
La filmographie marocaine, avec ces archives, devrait être mise en ligne gratuitement pour le citoyen marocain partout où il est. Bref, la cinémathèque du CCM devrait être à la disposition des marocains.
2- La majorité de vos films reflètent l’attachement spirituel à vos origines, particulièrement votre ville natale "Bejaâd". Pourquoi ce choix?
Ce n’est pas une décision volontaire ou pensée que de choisir de plonger à chaque fois dans mon univers et dans ce que je crois savoir ou ce que je crois connaître. Cet attachement avait imprégné ma démarche et donné forme à mon processus pour ne pas dire mon style ou ma signature.
Par conséquent, je n’ai pas eu d’autres possibilités que par ce processus personnel pour m'exprimer cinématographiquement.
Cela m'a réconforté plus tard, car l’élément essentiel dans un récit cinématographique en parallèle avec les décisions esthétiques était aussi un élément moral. Cet élément moral que l’on se doit envers ceux et celles avec qui nous partageons ce que nous faisons, à savoir un certain degré de vérité et donc de sincérité dans ce que nous partageons.
Le cinéma est peut être un outil de fabrication et de manipulation, donc il s’agit d’un outil à double tranchant qui peut être utilisé dans plus d’un sens.
A cet égard, Il fallait que je me batte pour retrouver la manière la plus sincère de m’exprimer. Il se trouve que cela passe par "Bejaad", qui est en fait comme une sorte de puits qui me rafraichit.
Le fait que je sois à 6000 km ou 7000 km de "Bejaad" me donne cette perspective de toujours renouveler ma manière de voir mon espace et donc je porte cet espace là en moi.
C’est un parcours qui se régénère et c’est une décision très pratique pour moi car je sens que "Bejaad" est mon studio de tournage: j’y connais tout le monde, je peux m’implanter au Souk et je peux tourner là où je veux. J’essaye de faire participer un maximum de personnes locales pour m’aider à faire le film. Je suis chez moi.
Cela ne veut pas dire que je ne peux pas tourner ailleurs. Je l’ai fait, mais je me sens en bonne compagnie quand je suis à "Bejaad" et je peux raconter ce que je veux et je peux adapter toutes mes histoires dans cet espace.
3- Loin de la médiocrité, le profilage et les stéréotypes, vous êtes proche du réalisme. C’est pourquoi un bon nombre de vos réalisations ont été récompensés par des Prix notables. Est-ce que vous allez emprunter la même voie?
J’essaye de ne pas trop me concentrer sur le fait de juger mon travail par les Prix que mes films reçoivent. Donc j'essaie de me rappeler à l'ordre tout le temps que ce n’est pas la reconnaissance des Prix.
Quant au processus esthétique, ce sont les histoires et les moments que j'essaye d'exprimer qui me dictent un peu le processus et comment les exploiter cinématographiquement.
Il y a des choses qui ne changent jamais pour moi : cette idée d’être à mi-chemin entre la fiction et la non fiction.
Du moment que l’on introduit une caméra et un micro, on ne peut plus parler de réalité ou de documentaire. On est dans la fiction, car il y a des décisions esthétiques, techniques qui sont prises pour capturer ou capter ces moment-là.
J’ai toujours été attiré par une certaine fragmentation du récit. Je ne me situe pas dans la case du récit traditionnel avec une histoire avec un début, un conflit, un dénouement. Même dans une scène, je préfère entrer dans une scène le plus tard possible et en sortir le plus tôt possible.
Je préfère aussi ne pas avoir à étaler ce qu’on appelle “An establishing shot”. Je n’aime pas établir par un plan large et faire tout ce qui est présentation ou exposition des personnages et de l’espace.
Je préfère être dans l’espace et dans le temps parce que ce dernier est l'élément le plus essentiel pour “sculpter” un moment d’humanité sur écran.
4- Quels sont vos projets pour l’avenir (post-covid) ?
Je suis en train de monter un film que j’avais tourné en juillet 2019 à "Bejaad" encore. Il s’agit là de 18 histoires dans un seul film qui sont reliées par le temps et par l’espace.
Ces histoires émanent de mon enfance, de mon adolescence et des histoires que j’ai vécues et d'autres que l’on a racontées. Tout cela est une représentation de souvenirs.
Entre ce que j’avais en tête et ce que j’ai écrit, il y avait un océan de différences et entre ce que j’ai écrit et ce qui j’ai tourné, il y avait encore une différence énorme et entre ce que j’ai tourné et ce que j'ai monté qui a fait un film différent du scénario que j'ai essayé de tourner.
Car il y a la vie qui intervient et parfois quand on a laisse les portes et les fenêtres ouvertes, l’univers vient nous offrir de très beaux cadeaux qui nous illuminent et qui nous font sentir combien nous n’étions pas très intelligents ou sensiblement clairs dans le choix de mon propre visuel que j'essaye d’exprimer.