La course effrénée à l'exploration gazière en Méditerranée orientale figure en tête des questions épineuses que la Turquie gère actuellement tant au plan interne qu’externe.
Le conflit qui affecte les relations avec la Grèce voisine est revenu au devant de la scène avec l’envoi de navires d’exploration turcs dans les eaux de la Méditerranée orientale et les informations sur la découverte de gisements de pétrole et de gaz, qui préfigure une forte confrontation qui menace la stabilité des pays de la région s’ils continuent à camper sur leurs positions intransigeantes.
La Turquie et la Grèce se déchirent à propos de gisements d'hydrocarbures en Méditerranée orientale qui connait une escalade de tensions. Une situation marquée aussi par l’entrée en lice d’autres pays dans le conflit et l’implication de l’OTAN et de l’Union européenne, outre les exercices militaires qui sont devenus courants, et qui constituent en fait une périlleuse démonstration de force avec de nouvelles armes de guerre hautement sophistiquées, faisant craindre que les premières frictions ne se transforment en une étincelle pouvant déclencher une guerre féroce.
La Commission géologique américaine et les sociétés d’exploration de la région estiment que les réserves en gaz en Méditerranée orientale devaient avoisiner 122 trillions de pieds cubes (bcm), une aubaine pour les pays riverains non seulement pour alléger le fardeau de la facture énergétique, mais aussi pour disposer d’un moteur de leurs économies et d’un atout pour de solides alliances géopolitiques, comme en témoigne le soutien de l’Union européenne à la Grèce et à Chypre dans leur différend avec la Turquie.
La possession par Athènes et Nicosie d’importantes ressources énergétiques permettra à l’UE d’assurer sa sécurité énergétique mais aussi et surtout avoir les moyens de réduire la position de la Russie en minimisant l’importance du projet « Nord Stream 2’’ considéré par les grandes puissances comme une tentative de Moscou de renforcer son contrôle sur l’approvisionnement énergétique de l’Europe.
La Turquie, qui est fière des découvertes massives de gaz naturel en mer Noire fin août, estimées à 320 milliards de mètres cubes, défend la légitimité de ses actions dans la région et son droit de sécuriser sa part des réserves d’énergie, et de renforcer ses droits après l’injustice historique en rapport avec les accords conclus dans le passé, et imposés aux pays exténués par le colonialisme.
Selon des experts en droit de la mer, en insistant sur la délimitation des frontières maritimes, la Turquie envisage la récupération de ses îles et donc la formation d’une nouvelle carte maritime régionale et internationale qui garantit ses intérêts vitaux et lui permet d’occuper une position de premier plan en matière d’aspiration au leadership régional.
Ils ont noté que la Turquie est consciente de l’importance d’exploiter la phase de mésentente au sein de l’Union européenne, puisque au moment où l’Allemagne joue un rôle de médiation pour trouver une solution à même de satisfaire les deux parties pour éviter le pire, la France a clairement affiché son soutien à la Grèce en déployant des navires de guerre et des avions de combat dans la région, et en agitant la menace de sanctions contre la Turquie.
En réponse à la division de la position européenne, la Turquie affirme que la Grèce et Chypre exploitent leur statut de membres de l’UE pour faire pression sur elle, considérant que ce regroupement régional n’a pas de prérogatives pour intervenir dans le différend entre les États et à fortiori lorsqu’il s’agit d’arbitrage.
L’OTAN œuvre avec célérité pour éviter une guerre entre deux pays membres de l’Alliance, dans laquelle l’armée turque occupe la deuxième place après les États-Unis, en exhortant les parties à s’engager dans des négociations sérieuses comme moyen d’apaisement.
Quant à la position de Washington, actuellement préoccupée par l’élection présidentielle américaine, elle reste vague bien qu’elle ait exprimé ouvertement son rejet d’un affrontement entre deux forces militaires de l’OTAN, ce qui risque de porter préjudice à l’Alliance.
Dans ce climat et positions contradictoires motivées par des intérêts stratégiques imbriqués, la question qui se pose est de savoir dans quelle mesure les parties en conflit peuvent entrer dans une guerre aux conséquences incertaines.
Au volet économique, la Turquie, à l’instar du reste du monde, n’a pas été épargnée par l’impact de la crise économique liée à la pandémie de Covid -19, en raison de l’arrêt des secteurs qui constituent des piliers de l’économie turque, comme le tourisme, l’industrie et les exportations.
Toutefois il a été constaté récemment que certains indicateurs commencent à s’améliorer parallèlement à l’évolution de la conjoncture tant à l’échelle nationale qu’internationale.
Des analystes économiques s’attendent à ce que l’économie turque continue à se redresser au cours du deuxième semestre de l’année en cours, après une accalmie relative des effets négatifs de Coronavirus qui avaient entraîné une baisse significative des exportations du pays, notamment à destination des pays de l’Union européenne, et une diminution des recettes touristiques et du secteur de transport en raison des mesures de restriction des voyages pour éviter la propagation du virus.
Pour ces experts, les autorités turques vont continuer à imposer des mesures d’urgence afin d’atténuer l’impact de l’épidémie sur l’économie nationale suite au taux de chômage élevé (13,4 % en juin 2020), de l’inflation (11% en août), ainsi qu’en ce qui concerne les finances publiques après l’effondrement de la valeur de livre turque.
Pour remédier à cette situation, la Banque centrale de Turquie s’est vue contrainte d’abaisser son principal taux d'intérêt à 8,75%, le but étant de stimuler l’activité économique en encourageant les investisseurs à contracter des prêts, tout en injectant davantage de liquidités sur les marchés financiers.
Les autorités turques seront dans l’obligation de continuer à prendre des mesures à caractère social et d’autres proactives, et ce dans le but de minimiser les répercussions de la pandémie sur la société turque, notamment les classe les plus touchées directement par les mesures de confinement imposées par le gouvernement en raison du Covid-19.
Les décideurs turcs, selon les experts, sont conscients de l’impact du Covid -19 et du fardeau de cette pandémie sur la psychologie des électeurs turcs même si les élections présidentielles sont lointaines. Pour barrer la route à ceux qui évoquent des élections anticipées, le président turc et président du Parti de la justice et du développement (AKP), Recep Tayyip Erdogan, a réaffirmé la semaine dernière qu’il compte rester au pouvoir encore trois ans en briguant nouveau mandat lors de la prochaine élection présidentielle prévue en juin 2023.
Dans ce contexte, l’annonce du président du Parti d'Action nationaliste (MHP), Devlet Bahceli d’apporter son soutien au président Erdogan, en tant que candidat unique du parti et de l’alliance de la nation vient en réponse à l’examen d’une éventuelle présentation de la part de l’opposition d’un candidat commun face au président turc lors du prochain scrutin présidentiel.
Les observateurs écartent cependant l’éventualité d’élections anticipées, contrairement à ce que prétend le Parti républicain du peuple (CHP), d’autant plus que le président Erdogan qui a vu sa popularité monter veut tirer profit de sa gestion de la crise du Coronavirus. Du point de vue juridique, une telle décision requiert une majorité parlementaire détenue par le Parti de la justice et du développement (AKP) avec son allié Mouvement de la nation, tous deux ayant réaffirmé leur volonté de voir le président Erdogan rester au pouvoir pour le reste de son mandat.
Si l’annonce du maintien des élections présidentielles à la date prévue est de nature à rassurer le paysage politique interne et inspirer confiance dans l’économie du pays afin de surmonter progressivement la crise du Covid-19, la montée des tensions en Méditerranée orientale place la Turquie dans une situation délicate qui pourrait saper ses acquis et hypothéquer ses ambitions de conforter sa position en matière de leadership régional.