Cela dit, pour sortir ce texte élaboré par les experts des finances dont regorgent les départements gouvernementaux, le Parlement a été au rendez-vous, mais pas tous nos honorables parlementaires. Rappelez-vous, près de 20% des élus n'ont pas le bac ! sans parler de ceux -et de celles- qui n'ont fait que quelques petits pas dans l'enseignement supérieur. Pour cette raison -et bien d'autres- nos législateurs ne sont pas forcément nos législateurs !
Le débat sous la coupole du parlement se fait et se prépare ailleurs.
En parlant de la loi de finances, les partis politiques font, généralement, appel à leurs cadres pour élaborer leurs propositions d'amendements et leurs arguments.
D'autres ont déjà pensé à mettre en place des think-tanks. Une sorte d'organisations chargées de “fabriquer” des idées, portées par des gens initiés. Certains partis sous-traitent le “processus de fabrication interne des idées” à des bureaux d'études disant “apolitiques”.
(Entre parenthèses: pourquoi n'a-t-on pas pensé à faire élire au Parlement ces mêmes cadres qualifiés des partis politiques ? Question d'avoir une institution législative qui sert elle-même à créer des idées... Surtout que les cadres ne manquent pas...
Alors là, le débat peut virer vers un autre sujet. En effet, des voix s'élèvent à chaque modification des lois électorales, pour exiger le Bac comme niveau minimum requis pour se présenter aux élections, chose rejetée par nos partis politiques. Vous connaissez de quoi elle est faite notre “classe politique”. La parenthèse est fermée !)
Pour petit rappel, on disait que nos législateurs ne font pas forcément nos lois, d'où le recours massif de nos partis, grands ou petits, à des experts... Et, à ce sujet, les avis divergent.
Le recours aux experts, une "nécessité absolue"
"Le recours des parlementaires à des conseillers techniques, à des experts ou autres, est nécessaire. Un élu, quel qu'il soit son niveau d'instruction ne peut pas cerner tous les volets juridiques, économiques et sociaux. Tous les Parlements à travers le monde recourent à l'expertise externe pour enrichir le travail parlementaire, parfaire les lois et élever le débat”, souligne Mohamed Zineddine, professeur du droit constitutionnel.
"Aux États-Unis, par exemple, on fait intervenir les chercheurs d'Harvard dans le processus législatif, on se fait conseiller par des bureaux d'études et des sociétés. Les données officielles évoquent le chiffre de 130.000 cadres qui collaborent avec le Congrès américain. Vous imaginez ! Dans ces conditions, quelle sera la qualité du rendu législatif ?”, poursuit M. Zineddine, dans une déclaration à BAB.
L'avis de notre interlocuteur est partagé par Driss Skalli, député PJD et président de la section “cadres” du parti.
"L'évaluation des politiques publiques a besoin aujourd'hui plus que jamais de l'expertise et des compétences. Au niveau du parti de la Justice et du Développement, nous avons mis en place dès 1999 une commission thématique composée des cadres du parti”, souligne-t-il dans une déclaration à BAB.
"Concernant l'accompagnement de l'action de nos députés et conseillers, nous avons établi un partenariat avec les deux groupes parlementaires du parti. Nous organisons régulièrement des rencontres, notamment la veille de l'examen des lois au Parlement et surtout la loi de finances”, souligne M. Skalli, pour qui “le recours des parlementaires aux compétences et aux cadres, jusqu'à un certain degré, ne dévalorise aucunement le travail parlementaire. Bien au contraire, il tend à l'enrichir”.
Oui, mais...
Grosso Modo, le fait qu'un parlementaire se fait assister par des experts n'est pas un problème en soi. Au Parlement européen, chaque eurodéputé a pas moins de cinq cadres pour l'assister, dont trois au siège de Bruxelles et deux à Strasbourg.
Le problème chez nous n'est pas le recours à l'expertise mais la manière dont ce recours se fait, ou ne se fait pas ! “Tout d'abord, il y a le problème des moyens. Les ressources prévues par le Parlement à ce titre ne sont pas suffisantes. En plus, il y a le gros problème du clientélisme et du manque de transparence. Le recours à un cadre en particulier au sein du parti et pas à un autre fait toute la différence”, s'indigne le constitutionnaliste M. Zinedine. Selon lui, au lieu du recours aux compétences “il y a mise à l'écart des cadres et c'est ce qui fait que le gouvernement ait une certaine hégémonie sur le parlement et que la qualité de l'action législative se dégrade”.
M. Zinedine appelle, par ailleurs, à l'ouverture sur les chercheurs universitaires. “Au sein de nos universités il y a des Masters spécialisés et des chercheurs de haut niveau qu'il faudra exploiter pour la bonne cause. L'on constate même une dégradation de la qualité de la rédaction juridique des textes. C'est honteux. Et c'est la faute à tout le monde, pas uniquement le Parlement, mais le gouvernement aussi”, indique-t-il.
Des parlementaires, pas des "haut-parleurs"
Recours aux compétences et cadres par les parlementaires, oui ! mais Mohamed Badir, membre du conseil national du parti Authenticité et Modernité (PAM) et conseiller économique auprès du parti, voit les choses d'un autre angle. Pour lui, si quelqu'un s'offre “la légitimité” d'être élu au Parlement c'est pour apporter quelque chose, tout en se faisant assister. Mais, servir de “machine à lire” ce que les autres préparent ne serait pas admis. “Je tiens à rendre hommage aux parlementaires qui, après avoir été élus à l'hémicycle et constaté qu'ils n'ont pas leur place dans cet endroit fait pour légiférer et contrôler l'action gouvernementale, optent pour l'absentéisme. Le savez-vous, certains des notables n'ont pas choisi d'être élus. Ils ont été poussés par leurs partis pour se présenter aux élections, rien que pour leurs faire gagner des sièges à l'institution législative. Certains de ces notables ne comprennent rien de ce dont on parle au Parlement. On leur prépare des documents à lire et ils trouvent même une difficulté dans la prononciation des mots, d'où le choix de s'éclipser. C'est malheureux de le dire, mais c'est la réalité”, déclare-t-il à BAB.
"Sur les 395 députés que compte la chambre des représentants, il n'y a que près d'une cinquantaine de personnes qui assureraient le travail de parlementaire. Au lieu de la rente politique dont bénéficient des femmes et des jeunes en vertu du quota, il aurait fallu penser au moins à réserver une partie des sièges à des cadres, des gens instruits, qui maîtrisent les langues, qui peuvent apporter un plus”, souligne M. Badir, qui, depuis près de neuf ans, apporte son conseil aux parlementaires du parti du Tracteur dans les domaines liés à l'économie et aux finances.
Pour lui, les parlementaires ne doivent pas se permettre de n'être que “des hauts-parleurs”, à qui on prépare des mots à lire et c'est tout. “Près de 90% des textes de loi, des questions parlementaires, orales ou écrites, et des amendements ce sont les cadres des partis qui les préparent. Et ces même cadres finissent par constater que les notables exploitent leur effort intellectuel pour booster leur ascension politique, alors que, eux, ils sont marginalisés. De ce fait, ils fuient les partis politiques et cela cause un autre problème. Pire encore, certains des partis politiques font recours désormais à des bureaux d'études pour faire leur travail à leur place. C'est absurde. Ceci porte atteinte à la crédibilité et à la noblesse de l'action politique. S'il ne s'agissait que de faire préparer des études ou des textes par des bureaux d'étude qui ne comprennent rien à la politique, à quoi bon avoir des partis politiques ?”, se demande cet expert des affaires économiques. A ce titre, M. Badir recommande de privilégier les compétences internes des partis politiques, notamment en les poussant au devant de la scène, d'engager les partis à former continuellement leurs élus, d'exiger des candidats aux élections législatives un certain niveau académique...
Un dernier mot: en prévision des prochaines élections, peut-être qu'il est temps pour les électeurs qu'ils apprennent aussi à faire le bon choix. Voilà ce qui est dit !