En ces temps de crise, une “déferlante” d’émotions traverse l’esprit humain et se voit exacerbée à coup de confinements et reconfinements, décidés dans la douleur par les pays pour contrer l’avancée d’un virus mortel qui ne présente, jusqu'ici, aucun signe de fléchissement. Des décisions, aux séquelles profondes, qui accentuent le désir de retrouver le cours normal de la vie.
Un jour que nous espérons tout proche, la pandémie de la Covid-19 disparaîtra, mais cette “effervescence émotionnelle” n’a-t-elle pas droit d’être consignée sous forme de romans, nouvelles ou tout autre genre littéraire, voire même perpétuée pour les générations futures? Quelle place occupent justement les pandémies dans la créativité et la création littéraire? Autant de questions qui agitent les esprits soucieux de tirer les enseignements de toute crise, à travers les écrits de femmes et hommes d’inspiration, sensibles aux détails, attentifs à l’expérience humaine dans sa splendeur comme dans les moments les plus pénibles de son existence.
Remontant l’histoire, bien précisément en 1918, la pandémie grippale dite “espagnole” a frappé de plein fouet les États-Unis et bien d’autres parties du monde, faisant des ravages et emportant entre 20 et 50 millions âmes, selon l’Institut Pasteur. A cette époque-là, peu d’attention “littéraire” a été accordée à cette grippe ravageuse dont le coût humain était sans appel… les émotions aussi.
“Quatre géants de la littérature américaine ont négligé, notoirement, la pandémie grippale de 1918 qui a tué 50 millions de personnes”, écrit la spécialiste Laura Spinney sur les colonnes du journal britannique +The Guardian+.
Il s’agit d’Ernest Hemingway, Scott Fitzgerald, John Dos Passos et William Carlos Williams, qui voulaient s’affirmer et gagner leurs titres de noblesse en tant qu'écrivains aux compétences avérées.
Même s’ils ont tous été affectés par cette grippe, ils ne l’ont pas traitée dans leurs œuvres, hormis quelques mentions dans des lettres et des journaux intimes, relève l’auteur du livre “La grippe espagnole de 1918 et comment elle a transformé le monde”, notant que pour certains, ces écrivains, devenus des légendes de la littérature d’expression anglaise, n’ont pas pris la “distance nécessaire” vis-à-vis de cet événement d’envergure.
Cet argument ne tient pas la route pour Spinney qui explique que la première guerre mondiale, qui a fait moins de morts que la grippe espagnole (17 millions), s’est emparée d’une large partie dans leurs écrits.
“Les écrivains ont échoué à ancrer cette pandémie dans notre mémoire collective”, regrette-t-elle, avant d’ajouter que même en Asie et en Afrique, où le passage de la pandémie grippale a été sensiblement ressenti, il n’y a pas assez d’exemples sur le traitement littéraire de ce sujet, d’autant que dans ces régions régnait la culture orale.
Cette donne relevée par la journaliste scientifique britannique et tant d’autres connaisseurs du monde de la littérature a commencé à changer de face à l’ère du nouveau coronavirus, surtout avec l’apparition tout récemment d’un premier roman en anglais intitulé “Summer” de son auteure écossaise Ali Smith.
Cet ouvrage, le dernier opus d’un quartet qui comprend aussi “Autumn”, “Winter” et “Spring” est qualifié par The Guardian comme étant le premier roman sérieux sur le coronavirus où s’entremêlent émotions, déceptions et espoirs.
C’est dans cette même perspective que s’inscrit “Afterland”, la nouvelle œuvre de fiction de la Sud-Africaine, Lauren Beukes, dans lequel elle livre sa vision “imaginée” de l’après-covid, un monde où évolue un nombre diminué d’hommes.
Les remous et les bouleversements nés de cette pandémie n’ont pas non plus laissé indifférents les écrivains de la littérature arabe, à l’instar de la romancière marocaine Aicha Basri, qui a publié sa nouvelle œuvre “Comme un cadavre dans un roman policier”, rédigée en pleine période de confinement à Rabat.
“D’habitude, je n’écris pas sur un phénomène d’actualité dont les contours ne sont pas encore définis, mais sous l’impact d’une conjoncture marquée par la mort, l’incertitude et l’isolement, j’étais incapable d’ignorer ce qui se passe dans le monde et autour de moi", a confié la romancière au journal émirati “Alkhaleej”.
Pour elle, aucun écrivain ne sera épargné par Covid-19. S’il n’est pas infecté par le virus, il sera rattrapé par l’impact psychologique né d’une atmosphère oscillant entre la mort et la vie.
Même son de cloche chez l’Égyptienne Amani Tounsi, qui vient de publier son nouveau roman “les nuits de Corona… L’amour en temps de corona”, une œuvre traitant de la conjoncture actuelle qui a indéniablement marqué de ses griffes des vies et des âmes.
Malgré les effets dévastateurs sur des pans entiers de la vie humaine, le nouveau coronavirus a été à l’origine de “belles” initiatives à l’image de celle lancée par la psychologue et écrivaine britannique Michelle Stevens qui a lancé, en collaboration avec son amie d’enfance Clair Whitefield, un site web +inspirationinisolation.co.uk+ dédié aux œuvres littéraires inspirées de la Covid-19 et de la période de confinement.
“J’ai réalisé que je n’étais pas la seule à recourir à l’écriture pour donner libre cours à mes émotions et de l’utiliser comme exutoire en ces temps troublés”, a-t-elle dit au magazine britannique “Livingmags.info”.
“A un certain moment, nous allons retrouver le nouveau normal et l’année 2020 ne sera jamais oubliée. Je voulais m’assurer que la créativité déclenchée par ces temps difficiles soit consignée et placée dans un seul endroit pour servir de réflexion sur l’avenir”, a-t-elle relevé.
Durant les trois derniers mois, le site web a reçu plus de 140 contributions de la part d’au moins 75 auteurs, âgés entre 6 et 69 ans, qui offrent des points de vue variés sur des événements vécus et des émotions et sentiments ressentis en pleine crise sanitaire.
La romancière et dramaturge anglaise Louise Doughty aurait tout de même raison de déclarer que Covid-19 a bel et bien “infecté” le monde de la fiction d’une manière subliminale.