Les zones tampons ont toujours existé, explique d’emblée Jean Yves de Cara, par ailleurs professeur de Droit international à l'université Paris-Descartes Sorbonne-Paris-Cité et à Sciences Po. Elles prennent la forme d’une zone démilitarisée définie par les parties, d’une zone neutre, d’une zone de sécurité, d’une zone protégée ou d’un no-man’s land.
«Instrument de gestion de conflits, ces zones sont souvent imposées dans le cadre d’un règlement de paix international. Elles tendent à résoudre ou atténuer des tensions politiques, militaires, humanitaires complexes, souvent durables. Elles peuvent alors être déterminées de façon conventionnelle ou par une institution internationale pour geler un conflit frontalier», abonde-t-il dans un article publié sur le site "Theatrum belli".
La zone tampon peut aussi consister en un glacis aménagé par un État le long de ses frontières dans le but de protéger son territoire contre des incursions de troupes étrangères, de groupes armés à la solde d’un État étranger ou les menées de bandes rebelles ou terroristes. «Tel est le cas de la zone d'El Guerguarat au Sahara marocain», relève-t-il.
Dans le dessein de protéger son territoire, le Maroc a mis en place un mur de sable, en retrait de la frontière et il a volontairement établi une zone tampon qui a reçu l’assentiment de l’Organisation des Nations Unies. Ainsi, le Maroc participe autant à la gestion internationale de la situation, qu’il protège son territoire et les populations locales, souligne le président du Conseil scientifique de l’OEG.
Dans ces circonstances, la création d’une zone tampon implique d’y assurer le respect du droit pour les civils qui y vivent ou pour ceux qui traversent la zone. Il importe tout autant de garantir la sécurité et la nature neutre et démilitarisée de la zone tampon, relève Jean-Yves de Cara, spécialiste en Droit international.
«Incontestablement, le droit international s’applique dans ces espaces, en particulier le droit humanitaire en cas de recours à la force armée, mais il ne résout pas tout. Néanmoins, dans ces zones, par hypothèse pacifique, des questions juridiques touchant au droit civil, à la propriété, à la circulation, au droit pénal et plus généralement à l’ordre public peuvent se poser. En l’absence d’une administration internationale, la pratique reconnaît une certaine compétence à l’État dont la souveraineté territoriale est affectée par l’institution d’une zone tampon», explique-t-il à cet égard.
En outre, poursuit le spécialiste français, «le maintien de la sécurité ou, simplement, de la tranquillité publique dans la zone peut justifier une action limitée pour rétablir l’ordre. L’urgence, l’absence ou la faiblesse des forces internationales autorisent l’armée ou la police nationale à intervenir pour contrer une guérilla ou y rétablir l’ordre ».
Par analogie à la légitime défense, l’intervention de la puissance territoriale intéressée dans la zone tampon est subordonnée à deux conditions : la nécessité et la proportionnalité, poursuit le président du Conseil scientifique de l’OEG.
« La nécessité fonde la compétence de l’État à agir. Celle-ci est un démembrement de la compétence territoriale originaire que l’État exerçait sur l’espace qui constitue désormais la zone tampon. Les provinces du sud ont été de façon immémoriale un territoire de l’Empire chérifien puis du Royaume du Maroc ; ce dernier a inscrit la question du Sahara, alors occupé par l’Espagne, à l’ordre du jour des Nations Unies en 1963. Face aux menées du Polisario, crée et utilisé par l’Algérie depuis 1973, le Maroc, dans un esprit de concertation et pour le maintien de la paix sur son territoire, a créé la zone tampon sur laquelle, de ce fait, il renonçait provisoirement à l’exercice de sa compétence territoriale. Désormais, sur la zone tampon, cette compétence est subsidiaire et provisoire ».
En l’espèce, relève l’expert français, «par l’intervention des FAR, le Maroc a exercé une compétence de substitution pour maintenir le caractère neutre et pacifique de la zone placée sous le contrôle de la Minurso et garantir la circulation sur un axe de communication international ».
« Il ne s’agissait pas de contrer un risque ni de prévenir une attaque, mais de faire face à une situation présente et actuelle, à la suite de diverses communications adressées, depuis des années, par les FAR à la Minurso, dans lesquelles les forces marocaines s’inquiétaient de la présence de personnel civil et militaire, des incursions et des provocations du Polisario », indique Jean-Yves De Cara, soulignant que «l’intervention des FAR a donc été limitée dans son objectif, satisfaisant ainsi la condition de proportionnalité ».
En revanche, poursuit l’expert français, « l’auteur des faits qui ont conditionné l’action défensive, le Polisario, est fautif. La défense de la zone tampon ne suppose pas exclusivement une agression. Les « faits-condition » qui peuvent être imputables à un acteur non-étatique peuvent être constitués par des actes limités ou des provocations, des incursions, constatés dans le cas présent par la Minurso et rapportés par le Secrétaire général ».
« Il revient, dès lors, au Polisario de mettre un terme aux provocations et aux violations du droit international et des droits de l’homme dans la région, de respecter le statut de la zone, « de coopérer pleinement avec la MINURSO, y compris en ce qui concerne sa liberté d’interagir avec tous ses interlocuteurs, et de prendre les mesures voulues pour garantir la sécurité, ainsi qu’une totale liberté de circulation ». De même, « il incombe à l’État qui a inspiré la création du mouvement qui est son instrument, l’Algérie, de reprendre les négociations sous les auspices de l’ONU, «sans conditions préalables et de bonne foi » pour mettre un terme au conflit artificiel qu’elle a suscité et permettre au Maroc de recouvrer pleinement son intégrité territoriale, souligne le président du Conseil scientifique de l’OEG en se référant à la résolution 2548 du Conseil de sécurité datant du 30 octobre 2020 et la résolution 2494 du 30 octobre 2019.
Le 13 novembre, face aux provocations graves et inacceptables auxquelles se sont adonnées les milices du "Polisario" dans la zone tampon d'El Guerguarat au Sahara marocain, « le Maroc a décidé d’agir, dans le respect de ses attributions, en vertu de ses devoirs et en parfaite conformité avec la légalité internationale », avait annoncé le ministère des Affaires étrangères, de la Coopération et des Marocains résidant à l’étranger.
Les Forces armées royales (FAR) ont ainsi procédé à la mise en place d’un cordon de sécurité afin de sécuriser le flux de biens et de personnes à travers la zone tampon d'El Guerguarat qui relie le Maroc à la Mauritanie. Cette mesure fait suite, notamment, au blocage du transit routier par un groupe de personnes encadrés par des miliciens armés du Polisario.
Selon l’expert français, « un tel incident n’est pas nouveau. À plusieurs reprises les rebelles du Polisario, avec l’appui de l’Algérie, ont tenté des coups de force, des occupations limitées ou la paralysie du trafic international dans la zone ».
La traversée du Sahara par le rallye automobile annuel, Africa Eco Race, avait déjà donné lieu à des spéculations sur des tentatives de blocage en 2019, et de temps à autre le Polisario allègue la poursuite de chercheurs d’or illégaux ou de trafiquants de drogue pour tenter de pénétrer la zone, relève-t-il.