"En fin de compte, je ne pense pas que nous échapperons un jour au courroux de Mark ... cela dépend juste de combien de temps nous l’éviterons", s’est-il enfin résigné.
Cet échange, particulièrement révélateur, est l’un des éléments sur lesquels s’appuient les procureurs généraux de 48 Etats américains et la Federal Trade Commission (FTC) dans leurs poursuites distinctes contre le géant des réseaux sociaux pour abus de position dominante.
Annoncées simultanément il y a une dizaine de jours après des années d’enquête, ces deux plaintes constituent indubitablement la plus grosse menace à la puissance démesurée de la firme basée à Menlo Park, en Californie.
Dans leurs plaintes, les 48 procureurs généraux et la FTC accusent Facebook d’écraser ses concurrents en les intimidant, les obligeant parfois à des acquisitions forcées. Pour Facebook, les enjeux sont énormes car l’entreprise risque ni plus ni moins que le démantèlement.
En particulier, les régulateurs américains ont en ligne de mire les acquisitions par Facebook du site de partage de photos Instagram, en 2012, et de messagerie instantanée WhatsApp, en 2014. Deux rachats qui ont permis à Facebook de devenir le maître inégalé de la messagerie en ligne, dopant au passage ses revenus publicitaires.
Les deux plaintes combinées totalisent près de 200 pages documentant comment Facebook est devenu si puissant et comment, selon le gouvernement, il a enfreint la loi en cours de route.
Elles accusent Facebook, comme l’a formulé la FTC, de "supprimer, neutraliser et dissuader les menaces concurrentielles graves" à sa propre domination sur les réseaux sociaux.
"Aujourd'hui, nous envoyons un message clair et fort à Facebook et à toutes les autres entreprises que tout effort pour étouffer la concurrence, nuire aux petites entreprises, réduire l'innovation et la créativité et réduire les protections de la vie privée sera accueilli avec toute la force de nos bureaux", a martelé la procureure générale de New York, Leatitia James, à l’annonce de la plainte.
Les poursuites ont rapidement suscité des critiques de la part de Facebook, qui s'est engagé à "défendre vigoureusement" ses pratiques commerciales, annonçant une bataille judiciaire de longue haleine qui pourrait durer des années, selon les experts.
"Les gens et les petites entreprises ne choisissent pas d'utiliser les services et la publicité gratuits de Facebook parce qu'ils le doivent, ils les utilisent parce que nos applications et nos services offrent le plus de valeur", s’est défendue la vice-présidente et avocate générale de l'entreprise, Jennifer Newstead, dans un communiqué. L’avocate empreinte ainsi un refrain utilisé tout récemment par Google, qui fait l’objet de poursuites similaires.
Pour étayer leurs accusations, les deux plaintes s’appuient sur une mine d’e-mails internes à Facebook qui mettent clairement en évidence la politique d’acquisition impitoyable employée par Marck Zuckerberg et ses associés.
"Il vaut mieux acheter que concurrencer", a notamment écrit Zuckerberg dans un e-mail de juin 2008 que la plainte de la FTC cite pour résumer l'approche de Facebook envers ses rivaux émergents.
Selon les poursuites judiciaires, les responsables de Facebook ont documenté à plusieurs reprises leurs inquiétudes selon lesquelles la popularité croissante des concurrents Instagram et WhatsApp pourrait briser l'emprise de l'entreprise sur les médias sociaux. Une crainte qui, selon le gouvernement, a motivé Facebook à dépenser généreusement pour acquérir les deux sociétés.
Instagram "pourrait être très perturbateur pour nous" s'il continuait à se développer de manière indépendante, a averti Zuckerberg début 2012, alors qu'il proposait au fondateur de la startup de vendre à Facebook, selon le procès des procureurs généraux. Il a également discuté avec un autre dirigeant du fait que l'une des motivations pour acheter l'application était de "neutraliser tout concurrent potentiel".
"Personnellement, je pense que des entreprises comme WhatsApp sont la plus grande menace de Facebook", a encore écrit un directeur de l'ingénierie en juillet 2013.
Dans un article de blog publié après l’annonce des deux plaintes, Facebook a soutenu que le succès d'Instagram et de WhatsApp était dû en grande partie au fait que Facebook les avait achetés, en 2012 et 2014 respectivement, en y investissant beaucoup d’argent.
"Lorsque nous avons acquis Instagram et WhatsApp, nous pensions que ces entreprises seraient un grand avantage pour nos utilisateurs de Facebook et que nous pourrions les aider à les transformer en quelque chose d'encore mieux. Et nous l'avons fait", a souligné Newstead.
De même, Facebook reproche aux régulateurs d’avoir eu l’occasion de bloquer les deux grosses transactions à l’époque, et de ne pas l’avoir fait.
"C'est de l'histoire révisionniste. Les lois antitrust existent pour protéger les consommateurs et promouvoir l'innovation, pas pour punir les entreprises prospères", s’est indignée l’avocate générale de Facebook. "Le gouvernement veut maintenant une refonte, envoyant un avertissement effrayant aux entreprises américaines qu'aucune vente n'est jamais définitive", a-t-elle ajouté.
Cet argument, toutefois, est loin de convaincre les plaignants qui bénéficient, une fois n’est pas coutume, du soutien quasi unanime des législateurs des deux ailes du Congrès. Dans une Amérique plus divisée que jamais, les appels à briser les monopoles des géants de la Silicon Valley sont l’un des rares sujets de consensus entre démocrates et républicains. Google et Facebook sont certes les premiers à passer à la barre, mais, pour beaucoup, il ne fait aucun doute qu’Apple et Amazon ne tarderont pas à leur emboîter le pas.