"Le projet de loi d'amendement de la Constitution est une initiative du président et la loi indique clairement que le président n'a pas le mandat constitutionnel pour initier des modifications constitutionnelles par initiative populaire", ont notifié les cinq juges de la Haute Cour dans leur verdict, en ajoutant que "des poursuites civiles peuvent être engagées contre le président pour violation de la Constitution".
Le projet BBI propose de réviser la Constitution de 2010, qui avait instauré un régime présidentiel, en créant notamment un poste de Premier ministre, deux postes de vice-Premier ministre et un poste de leader de l'opposition.
Cette révision avait été suggérée par une commission mise sur pied en 2018 après la poignée de main qualifiée d'"historique" entre le président Kenyatta et Odinga, et à travers laquelle les deux hommes avaient promis de tirer un trait sur des années de contestations post-électorales et de violences politiques.
L'article 145 (1) de la Constitution kényane stipule que le Président peut être mis en accusation en cas de violation flagrante de la Constitution ou de toute autre loi, de faute grave et de crime en vertu du droit international ou national.
Un membre de l'Assemblée nationale, appuyé par au moins un tiers de tous les membres, peut présenter une motion de destitution du président.
"Si au moins les deux tiers de tous les membres du Sénat votent en faveur d'une accusation de destitution, le président cessera d'exercer ses fonctions", selon la Constitution.
Des politiciens et des avocats ont souligné, dans des déclarations relayées par les médias locaux, que le mandat du président "est en danger" et pourrait être interrompu par une mise en accusation.
"Le président est maintenant très vulnérable à la mise en accusation parce que le tribunal n'a pas allégué que le président avait violé la Constitution mais l'a inculpé", a déclaré l'avocat Danstan Omari.
Face à cette situation, le chef de l'ODM a appelé à la retenue tout en exprimant son intention de faire appel.
Dans une déclaration au nom de son parti, Raila a soutenu: "Nous nous déplacerons calmement et respectueusement devant la Cour d'appel pour présenter notre argumentation quant aux raisons pour lesquelles nous pensons que la Haute Cour n'a pas rendu le bon verdict. Nous le ferons dans le respect de nos juges et de nos tribunaux".
L'ancien Premier ministre a cependant appelé ses partisans à la retenue et à ne pas s'aventurer dans des attaques personnalisées contre le tribunal et ses membres, en particulier les cinq juges qui ont rendu la décision jeudi.
«Nous pouvons être en désaccord avec la cour, mais nous devons respecter sa décision et sa liberté d'exercer son jugement, car elle comprend les questions juridiques et constitutionnelles dont elle est saisie», a indiqué Raila, en assurant que son équipe fera appel pour demander un deuxième avis, dans l’espoir de relancer le processus du BBI.
D'autres partisans du processus, dont le coprésident du Secrétariat du BBI, Junet Mohammed, ont également promis de faire appel de la décision.
Le processus BBI a suscité des réactions mitigées, dont l'opposition du vice-président William Ruto, allié de M. Kenyatta depuis sa première élection en 2012 et son supposé dauphin, qui y voit une manoeuvre pour l'écarter du pouvoir.
L'élection présidentielle au Kenya est prévue pour 2022 et Uhuru Kenyatta, qui achève son deuxième mandat, n'a pas le droit de se représenter.
Ruto, issu de l'ethnie Kalenjin et qui s'était vu promettre par Uhuru Kenyatta d'être le candidat du parti présidentiel Jubilee en 2022, estime que cette révision constitutionnelle créera un système permettant à MM. Kenyatta et Odinga, respectivement kikuyu et luo, les deux principales ethnies du pays, de se partager le pouvoir.
Au Kenya, qui compte 42 ethnies, affiliation politique et identité communautaire sont profondément liées et les élections ont souvent débouché sur des violences. La crise post-électorale née de la défaite contestée de Raila Odinga en 2007 a fait plus de 1.100 morts, rappelle-t-on.