La prise de conscience de l'importance de la classe moyenne dans la réussite des grands chantiers initiés par le Royaume est-elle bel et bien au rendez-vous. La récente étude, dévoilée par le Conseil Economique, Social et Environnemental (CESE) et réalisée suite à une saisine du président de la Chambre des Conseillers, est un exemple particulièrement éloquent.
Intitulée "Renforcer et élargir la classe moyenne au Maroc: enjeux et moyens pour créer une classe moyenne qualifiée, prospère et qui prend l'initiative", cette étude identifie les diverses voies à même de relever le grand défi de l'élargissement et la classe moyenne marocaine et dresse les différentes pistes susceptibles de préserver et élargir cette catégorie et marquer, in fine, un virage dans le développement du Maroc tel que souhaité.
Bien plus qu'un pur exercice statistique
Pour le Conseil, la caractérisation d’une classe moyenne devrait dépasser l’exercice purement statistique pour comprendre un travail de repérage de segments sociaux qui, au regard de leur niveau et mode de vie, leurs formations et leurs aspirations, sont les mieux disposés à jouer le rôle de pilier de la stabilité socio-politique et de moteur du développement économique, social et culturel de notre pays.
Le CESE a, dans ce sens, détaillé les contraintes qui rendent difficile la détermination de la classe moyenne. Celles-ci ont trait, notamment, à l’approche purement statistique présidant à la définition de la classe moyenne, basée sur le revenu ou le niveau de consommation, la faiblesse du dispositif de suivi des salaires dans le secteur privé, l’étendue du secteur informel et le manque de statistiques le concernant, et enfin, l’absence d’un dispositif statistique sur les revenus non-salariaux.
Ce constat est largement corroboré par le professeur-chercheur en sciences économiques et gestion à l'Institut national de l'Action sociale (INAS), Hicham Belmaati, qui indique que la définition de la classe moyenne au Maroc, en se basant uniquement sur les critères classiques tels que les revenus et les dépenses des ménages ou en se basant sur les chiffres communiqués par le Haut-Commissariat au Plan (HCP) en 2009, voire en 2017, "rend son identification difficile voire impossible".
"Difficile à cerner, la classe moyenne marocaine, concept flou, constitue une très large population dont l’identification reste très délicate à expliquer et difficile à définir aussi avec précision", relève M. Belmaati dans une déclaration à la MAP.
Pour mieux élucider ce concept, notre interlocuteur souligne que la classe moyenne désigne tout simplement la partie de la population qui, par son niveau de vie, se situe entre les classes aisées et les classes les plus pauvres, donc une population située au centre de l’échelle sociale. Cette classe moyenne est constituée, dit-il, d'un ensemble hétérogène de classes sociales qui varie selon les régions, les villes, les territoires. Elle est souvent utilisée comme un baromètre pour estimer les évolutions socio-économiques d’un pays.
Le grand défi donc, reste de former une classe moyenne capable d’être la clé de voûte du développement d'une part, mais aussi en élargissant l’environnement microéconomique et la mise en place d’une vraie promotion sociale, indique M. Belmaati, également président du Centre marocain de recherches et études en sciences sociales (CEMARESS).
Gare au déclassement social !
Dans son étude, le CESE préconise de renforcer la classe moyenne, mais également de la consolider pour faire face aux éventuels chocs exogènes qui pourraient entraîner un déclassement social.
Car, les contraintes entravant une définition en bonne et due forme de la classe moyenne ne sont pas sans impact sur le statut de cette catégorie. C'est ainsi que dans son étude, le Conseil propose plusieurs recommandations en vue de mieux cerner la classe moyenne en traçant les contours d’une définition alternative ainsi que de la préserver, la renforcer et l’élargir pour lui permettre de jouer pleinement son rôle dans le développement du Royaume.
"A vrai dire, est ce qu’on parle de la classe moyenne ou encore du déclassement de la classe moyenne ?", se demande M .Belmaati, avant de souligner que cet éventuel déclassement serait le résultat de "l’ambiguïté d’interprétation d’une classe moyenne ou plusieurs classes moyennes qui sont incapables de subvenir à leurs besoins sans recourir à d’autres revenus".
De l'avis de l'expert, "la classe moyenne marocaine actuelle est une catégorie qui se vit en déclin vu qu’elle a le sentiment d’un réel déclassement et par conséquent, de ne plus y appartenir", a-t-il estimé.
M. Belmaati, souligne que la classe moyenne marocaine connaît vraisemblablement une énorme disparité dans la même couche sociale, voire dans la même catégorie socioprofessionnelle favorisant une nette hétérogénéité liée au pouvoir d’achat, au niveau de vie, au revenu, sans une corrélation à sa ville ou à sa région, et ce, en négligeant les vraies bornes définissant la classe moyenne comme le coût de la vie dans une région ou zone géographique, le coût de scolarisation, la santé, le coût de l'immobilier, sans pour autant parler de son attachement familial et les personnes à sa charge.
Dans ce sillage, le CESE préconise, entre autres, la mise en place de politiques budgétaires et fiscales pleinement redistributives, l’éradication de la pauvreté et l’assistance aux populations les plus modestes et vulnérables, l’autonomisation économique pour réduire la pauvreté chez les femmes dans les zones urbaines et rurales, ainsi qu’un accès plus grand des femmes au marché du travail.
Et pour mieux cerner la classe moyenne en traçant les contours d’une définition alternative ainsi que de la préserver, la renforcer et l’élargir, le Conseil recommande d'enrichir et moderniser le dispositif statistique national, d’améliorer le suivi des salaires dans le secteur privé et celui des revenus non-salariaux au Maroc, de développer des indicateurs sur le pouvoir d’achat, les conditions de vie et le patrimoine des différentes couches sociales, dans différentes régions du Maroc et dans différents milieux de résidence.
L'institution privilégie également de renforcer le pouvoir d’achat de la classe moyenne par l’introduction d’une fiscalité des ménages plus favorable, prenant en compte les personnes à charge et consolidée par des allocations familiales plus en phase avec la réalité socio-économique des familles, dont celle liée au financement de l’éducation des enfants.
Au Maroc, le grand défi de l'élargissement de la classe moyenne
De l'avis de notre interlocuteur, la lutte contre la pauvreté, la réduction du chômage, l’amélioration du statut de la fonction publique et le renforcement de la qualité des services sociaux et sanitaires sont des conditions sine qua none pour élargir et renforcer la classe moyenne marocaine.
L’élargissement de cette classe, qui exige un vrai engagement, une volonté dotée de l’efficacité et du suivi, aura certainement, selon lui, un impact sur le renforcement du moteur du développement social et la mise en place des baromètres sociaux permettant un diagnostic fiable et rentable pouvant résoudre des problématiques d’une perception d’une classe sociale marocaine en décalage avec la réalité.
Afin de lutter contre ce grand déséquilibre des classes moyennes et élucider cette disparité sociale entre les différentes souches de la société dans la même catégorie, la mise en place du chantier de généralisation de la protection sociale, lancé par SM le Roi, contribuera non seulement à la définition ou au renforcement de cette classe, mais aussi à garantir une justice sociale pour cette catégorie, relève-t-il.
Aussi, la couverture médicale, la revalorisation et l’organisation du secteur informel, l’investissement au niveau du capital humain, le régime de retraite, l'empowerment économique des femmes, la réduction de la disparité sociale, sans oublier le milieu rural émergent et le renforcement des capacités sont autant de critères raisonnables et fiables qui auront inéluctablement un effet majeur sur l’amélioration de la classe moyenne marocaine perdue entre l’élite et la classe pauvre.