Pendant quatre ans d'audiences publiques concernant l’enquête judiciaire sur la capture de l’État, l’Afrique du Sud a été attristée et indignée par les témoignages de la façon dont un réseau criminel au sein du gouvernement, des institutions publiques et des entreprises privées avait pillé les coffres de l'État et vandalisé les institutions publiques du pays.
Au milieu des témoignages déprimants, la colère des gens face aux événements qui se sont déroulés et les demandes des citoyens pour des représailles étaient un signal clair que les Sud-africains sont prêts à se battre pour préserver leurs valeurs.
D’emblée, dans son rapport très attendu, la Commission judiciaire d’enquête sur la capture d’État, dite Commission Zondo du nom du juge en chef Raymond Zondo, révèle que la corruption était devenue systémique dans toutes les administrations de l'État et impliquait de hauts responsables du Congrès National Africain (ANC), parti au pouvoir en Afrique du Sud, dont l’ex-président Jacob Zuma.
La Commission, présidée par Zondo, a été chargée d'enquêter sur les allégations de capture de l'État, de corruption et de fraude dans le secteur public, ainsi qu'au sein du gouvernement durant les deux mandats de Zuma.
Le premier volet du rapport a été publié en janvier de cette année et portait sur les affaires de corruption et de détournement de fonds au sein de la compagnie South African Airways (SAA) et des services fiscaux sud-africains (Sars).
Les trois autres rapports ont révélé des malversations et une corruption généralisée au sein de la société sud-africaine de chemins de fer, de ports et de pipelines «Transnet», la compagnie publique d’électricité «Eskom» et le scandale de l'amiante de l'État libre, entre autres.
Pour ce qui est de la cinquième partie du rapport final, elle a mis en cause la «passivité» du chef de l’Etat, Cyril Ramaphosa, à agir contre la corruption et les autres actes criminels perpétrés du temps où il était vice-président.
«Ramaphosa aurait pu agir contre ces méfaits en tant que vice-président (…). Certaines de ses réponses à propos de ce qu'il savait des activités de corruption ont été +opaques+ et laissent malheureusement des lacunes importantes", regrette la Commission.
Après la publication du rapport final de la Commission Zondo, le Président sud-africain a présenté devant le Parlement le Plan d'action pour la mise en œuvre des 350 recommandations de la Commission, y compris des enquêtes criminelles, le recouvrement d'avoirs, ainsi que des changements constitutionnels et législatifs.
La réponse du Président décrit les mesures prises par le gouvernement pour mettre en œuvre des recommandations concernant les actions contre les auteurs de la capture de l'État et les réformes visant à prévenir une telle capture, y compris des règles plus strictes pour les entreprises publiques.
Mais d’aucuns estiment que de nombreuses recommandations resteront inéluctablement sans réponse, car elles ne font pas l’unanimité au sein du parti au pouvoir. En effet, bien que le Comité exécutif national (NEC) de l'ANC ait accueilli favorablement les recommandations de la commission sur la capture de l’État, il a rejeté celles qui traitent du déploiement des cadres, du système de contrôle, du fonctionnement du Parlement et des systèmes électoraux.
"La NEC était d'avis que des recommandations, plus particulièrement celles relatives au fonctionnement du Parlement et aux questions électorales, étaient en contradiction avec les dispositions et principes constitutionnels établis et ne relevaient pas du mandat de la commission", a déclaré le Comité exécutif national du parti lors d’une réunion spéciale.
Pourtant, une grande partie de l'attention de la Commission judiciaire s'est précisément portée sur la qualité, ou l'absence, du contrôle parlementaire et sur le système électoral.
L'énigme pour l'ANC est que mettre fin aux nominations de déploiement des cadres serait considéré comme une perte de contrôle des leviers de l'État, une politique ferme du parti au pouvoir depuis la fin du régime ségrégationniste de l’apartheid en 1994. De surcroit, un contrôle parlementaire de qualité avait de bonnes chances d'embarrasser les ministres non performants du parti, déployés au Cabinet souvent pour une série de raisons non liées aux compétences appropriées.
Mais plusieurs ONG et partis d'opposition sud-africains ne sont pas convaincus par le Plan d'action du Président Ramaphosa pour mettre en œuvre les recommandations proposées. Ils ont jugé «très insuffisantes» les mesures annoncées pour lutter contre la capture généralisée de l'État, éradiquer la pourriture des institutions publiques et appliquer les recommandations tendant à lutter contre le fléau de la corruption généralisée.
Le porte-parole du parti Cope, Dennis Bloem, estime à ce propos que le Plan de Ramaphosa est toujours «en deçà des attentes» et ne contient que «des promesses». «C'est très décevant", lance-t-il, arguant que le Plan d’action n'a pas répondu aux préoccupations concernant le déploiement des cadres du Congrès National Africain, ni ne détaille les étapes à suivre pour traiter les cas des membres de l'exécutif impliqués dans des affaires de corruption.
Pour sa part, le porte-parole du principal parti d’opposition «l'Alliance démocratique» (DA), Solly Malatsi, a accusé Ramaphosa de protéger ses alliés. Un point de vue partagé par le chef de l'UDM, Bantu Holomisa, qui a déclaré qu'il ne croyait pas que le gouvernement dirigé par l’ANC serait capable de «s'auto-corriger». "Il faut arrêter de se leurrer en pensant que Cyril Ramaphosa va nettoyer le gâchis de l'ANC", affirme-t-il.
Pour le président du Parti de la liberté de l'Inkatha, Velenkosini Hlabisa, et le chef de FF Plus, Pieter Groenewald, des questions délicates telles que le déploiement des cadres de l’ANC que la commission de capture de l'État a jugé inconstitutionnel, n’ont pas du tout été mentionnées dans le Plan d’action du chef de l’État.
Tous ces politiciens croient fermement que le moment du renouveau est venu pour une Afrique du Sud qui a une tolérance zéro pour la corruption et dans laquelle les dirigeants se conforment à des normes éthiques élevées et agissent avec intégrité.
C’est dire que le rapport accablant sur la capture de l’État est venu souligner ce que les Sud-africains lambda ont toujours su et dénoncé : Les assauts soutenus des architectes et des praticiens de la mainmise de l'État sur les principales institutions nationales.